Rappel
Après 1945, le Canada comme les pays occidentaux ont été gouvernés par des gouvernements centristes qui ont mis en œuvre le programme keynésien. Ce «grand compromis» certes était le résultat d’une lutte très dure entre les dominants et les dominés, qui a permis aux classes moyennes et populaires d’améliorer leurs conditions de vie et de travail. Mais à partir des années 1980, ce grand compromis a été érodé par les dominants, d’où le projet néolibéral qu’on a connu sous Reagan et Thatcher. Au Canada, ce néolibéralisme a franchi une grande étape avec l’accord de libre échange avec les États-Unis, négocié par le conservateur Brian Mulroney, puis endossé par le libéral Jean Chrétien. Par la suite, les gouvernements Chrétien et Paul Martin ont continué d’affaiblir le système de sécurité sociale et d’aligner les politiques canadiennes sur celles de Washington. Durant la décennie 1990, les dominants se sont contentés de cette évolution positive à leurs yeux. Mais en même temps, ils ont produit un projet plus à la hauteur de leurs attentes en unifiant la droite sous la direction de Stephen Harper. En clair, Harper propose de «révolutionnariser» l’État canadien en démantelant le système de protection sociale, selon le «modèle» albertain. Harper veut également relocaliser le centre de gravité démographique et économique du pays, en dehors de l’axe Québec-Ontario, vers l’ouest qui regorge de ressources. Enfin, il rêve d’enterrer cette prétention du Canada à avoir une posture internationale indépendante. Parallèlement, Harper sait pour faire passer ces grands changements qu’il changer les «valeurs», les fondements politiques et culturels de la politique canadienne, en les faisant basculer à droite, dans le fondamentalisme chrétien («God bless Canada), dans la peur et la hantise des «autres» (immigrants, réfugiés, musulmans), dans le tout-sécuritaire qui pénètre dans le subconscient de tous et toutes !
Guerre de position
Mais Harper apparaît à bien des égards comme une pâle émule de George W. Bush, une sorte de «radical de droite en culottes courtes», qui ne peut réaliser ses ambitions. Le fait politique banal et incontournable est qu’à peine 25% des électeurs ont choisi cette option. C’est peu dans un système «démocratique». Or à ce petit «problème» Harper a trouvé la solution : il faut éroder la démocratie, rendre opaque les grandes décisions, éliminer ces irritants que sont les médias, mais aussi le Parlement et même les partis politiques qui malheureusement, parfois, posent des questions. Tout au long de son «règne» précédent, c’est ce que Harper a tenté de faire. Mais encore là, des obstacles plus sérieux se présentent contre la révolution Harper. Nous ne sommes pas aux États-Unis. Les médias ont encore un rôle à jouer. Les mouvements sociaux, dont les syndicats, ont des capacités. Les partis politiques, même faibles, agissent également. Ainsi de malgestion en malgestion, Harper trébuche.
La crise
Face à la crise, dans le sillon de son mentor George Bush, Harper veut éviter tout «retour en arrière» de nature keynésienne. Au contraire, quoi de mieux qu’une crise pour accélérer les coupures, démolir les acquis sociaux, politiques et culturels, criminaliser et punir !!! Bref, en principe, une «opportunité» extraordinaire. Mais le timing joue contre Harper. L’élection d’Obama est un immense refus de ces politiques (on verra ce qu’Obama en fera). Les partis d’opposition, mais surtout l’opinion publique, s’indignent. Devant cela, Harper en remet en tentant de bâillonner les partis. On peut imaginer que si cette tactique réussissait, il continuerait : briser la péréquation, fermer Radio-Canada, supprimer les subventions (ou ce qu’il en reste) aux organismes de la société civile, transformer le Québec en une grosse quatrième province maritime. Et ainsi de suite …
Quelle alliance ?
Le projet de gouvernement de coalition Libéral/NPD, avec l’appui du Bloc, pourrait être la manouvre nécessaire pour nous éviter le pire. Mais cette coalition pourra-t-elle agir réellement ? Les Libéraux sont après tout le parti qui a gaiment navigué dans le néolibéralisme tout au long des années 1990. Ce sont eux qui ont amorcé le rapprochement avec les États-Unis via l’ALÉNA et la participation canadienne à la première guerre contre l’Irak et à l’occupation de l’Afghanistan. De plus, les Libéraux sont très ambigus, non seulement sur leur chef, mais aussi sur leur direction stratégique. Quelles sont les ambitions réelles de Michael Ignatief (qui semble recevoir l’appui de l’establishment du parti dans la course à la chefferie) ? Il faut se souvenir que, au tournant de la guerre contre l’Irak, il avait été l’un des rares intellectuels de l’époque d’appuyer l’aventure de Bush. On dira, «le passé c’est le passé». Mais erreur» (comme il le dit lui-même) ou révélatrice d’une vision du monde, on peut se poser de sérieuses questions.
La balle est dans le camp du NPD et du Bloc
Certes dans les tractations actuelles, le NPD joue ses cartes et donc, on peut espérer qu’un gouvernement post-Harper représente quelque chose d’autre. Mais le jeu est dangereux pour le NPD. Le danger serait qu’il accepte l’inacceptable comme cela a été trop souvent le cas dans le passé, en délaissant la tradition social-démocrate pour devenir «social-libéral». Il faudra que le NPD se tienne réellement debout pour imposer un véritable plan de relance keynésien face à la crise et non bricoler des réponses partielles et incomplètes. Pour le Bloc, les enjeux sont également importants. Certes, Harper aura été dans un sens un ennemi «parfait» pour les nationalistes. Ceux-ci également savent que leur ennemi «historique» et mortel est davantage le Parti Libéral, du moins dans la tradition «trudeauiste». Néanmoins, Gilles Duceppe et son équipe sont assez intelligents pour sentir le pouls de l’opinion populaire. Il faut mettre de côté, pour le moment, les divergences avec les autres partis pour empêcher la «révolution» Harper.
Que se vayan todos !
En Argentine et ailleurs en Amérique latine, un nouveau slogan est devenu à la mode, «que se vayan todos» ! (qu’ils partent tous). C’est ce qui a rallié les gens contre la voyoucratie de Menem, de Cardoso, de Fujimori et des autres amis de Washington et d’Ottawa. Les Argentins savaient que c’était d’abord et avant tout des voleurs, des menteurs, des exploiteurs, sans foi ni loi, prêts à tout. Et aussi ils sont sortis dans la rue, d’abord par centaines, ensuite par milliers, puis par millions, et ils les ont expulsés. En même temps, ils ont refusé la pseudo-démocratie, faite pour et par les dominants, déguisée, de moins en moins, derrière des exercices électoraux vides de sens. Ils ont érigé des barrières, réelles et symboliques, pour stopper les dominants et neutraliser leurs chiens de garde, médiatiques et policiers. Ils se sont construit des outils politiques et sociaux. Ils ont, temporairement au moins, gagné la guerre des idées. Bien sûr en Amérique du Nord, le portrait est différent. Mais encourageons-nous de ce qui s’est passé en novembre au sud de chez nous. Le fameux «yes we can» exprimait aussi ce ras-le-bol, cette ascendance des dominés, contre un régime, au moins aussi pourri (peut-être plus) que les dictatures latino-américaines, et qui n’a cessé de mentir, de voler, de tricher, d’écraser. Il est plus que temps que cette résistance prenne son envol ici. Nous avons une opportunité, le 8 décembre prochain, d’exprimer notre rejet des voyous, en votant pour Québec solidaire. Et puis, il faudra aller plus loin, peut-être même beaucoup plus loin.