Qu’il est long et escarpé le sentier vers la liberté. Après deux siècles de luttes, l’horizon de l’émancipation semble être borné par le capitalisme contemporain, financiarisé, cybernétisé, le « sujet automate ». Les contradictions actuelles au sein de l’État haïtien (parlement, exécutif, collectivités territoriales) ainsi que la crise économique, politique et environnementale montrent, comme une plaie béante, la crise plus globale du capitalisme en tant que tel. Pour autant, l’affaiblissement historique de l’État haïtien, qui a débouché sur une tutelle, ne devrait être analysé comme une crise de domination de la bourgeoisie haïtienne. Une telle lecture renverrait à confondre les contradictions internes à l’appareil d’État avec les contradictions internes à la fonction de l’État. En fait, il s’agit pour les dominants de trouver une bifurcation face à la crise du bloc au pouvoir, sous l’hégémonie du capital international, par la médiation de l’ambassade des États-Unis ou même celle du vice-président de ce pays. Alors, quelle stratégie de lutte nationale, démocratique et populaire pour défaire cette manœuvre?
La situation haïtienne n’est pas une « crise révolutionnaire » dont une « stratégie frontale » déboucherait sur une « révolution », au sens classique. Quand nous parlons de révolution haïtienne, aujourd’hui, il ne s’agit pas se focaliser essentiellement sur la question du pouvoir, par la conquête exclusive de l’appareil d’État. Cette option stratégique serait, pour certains, la condition incontournable pour entamer les transformations sociales. Ce schéma privilégie le couple parti/pouvoir d’États de manière verticale, c’est-à-dire du haut vers le bas. Historiquement, ce modèle a été à la base des trahisons, des usurpations.
Cette posture réductionniste néglige la dynamique de l’appropriation sociale par les masses de leur capacité d’autogestion, d’auto-organisation, d’autogouvernement. La construction d’un nouveau rapport de force se veut, ainsi, une reconnaissance des revendications de gens ordinaires. Autrement dit, reconnaître le pouvoir du souverain, des citoyens et citoyennes. Lutter pour que les classes populaires soient porteuses de leur émancipation, c’est lutter pour le plein développement de chacun. La lutte contre la domination, l’exploitation, l’exclusion, la marchandisation et la pauvreté, est un projet de libération de la condition humaine et non de la mise en place d’autres formes de domination, de subordination par des bureaucrates/technocrates fussent-ils de « gauche ».
Contrairement, au modèle des adeptes du complotisme politique (tactique du manipulateur en quête de pouvoir personnel), des professionnels de la politique (les politiciens traditionnels), des experts, des technocrates de l’ingénierie du capital communautaire (les ONGistes); le projet d’un monde libéré, de la marchandisation, de l’impérialisme, de la dictature, est un projet créatif en harmonie avec les humbles et toutes personnes conscientes, une utopie d’hommes et de femmes en lutte.
La rébellion, le cri, le souffle de la vie, les racines de la liberté, face à la destruction de notre pays, de notre planète est la voie qui affirme que la construction d’un autre monde est possible. La terre mère exige de nous, de l’humanité, aujourd’hui, maintenant, une vision de la politique plein d’amours, de rêves, de respects de la vie, de la nature, à la dimension du désastre quotidien de la « société moderne » (militarisme, marchandisation de la vie, crise climatique accélérée par l’exploitation à outrance des ressources naturelles, concurrence entre les êtres humains, manipulation des masses, consumérisme, aliénation de nos enfants…). Ce combat n’est pas un vœu pieux, mais l’objet d’actions concrètes. Les peuples du monde attendent de la nation haïtienne le sursaut de dépassement qui ouvrira une nouvelle voie d’émancipation à l’humanité tout entière. Aujourd’hui, notre tâche consiste à :
— Offrir un cadre organisé où les femmes et les hommes pourront lutter en contribuant aux combats contre l’exploitation, l’exclusion, la dépendance et la pauvreté;
— Consolider le rapprochement entre les diverses organisations qui luttent pour l’émancipation;
— Renforcer et étendre la solidarité internationale des peuples en faisant écouter la voix des sans voix à travers le monde entier;
— Construire une alternative contre-hégémonique nationale, démocratique et populaire qui sera un produit du mouvement social et politique;
— Donner une réponse catégorique à l’occupation étrangère;
— Assumer de manière cohérente et réaliste les tâches historiques du peuple haïtien inscrites dans le mouvement d’éveil de l’humanité qui fait face à la destruction de notre planète.
En somme, promouvoir la transformation sociale par l’appropriation « citoyenne » en vue de construire une nouvelle réalité sociale. Il s’agit, à court terme, de lancer une campagne au sein du peuple en tenant compte de son imaginaire en lien aux réflexions sur le réel des intellectuels organiques. Ressusciter les récits concernant nos héros en harmonie avec les énergies profondément enracinées en nous et tout autour de nous. Encourager les forces créatives de chacun d’entre nous et du peuple. Dans ce cadre, construire un programme de lutte avec toutes personnes désirant s’engager dans cette direction. Renforcer la dynamique de l’autonomie des collectivités territoriales par la création de coordinations régionales en vue de coordonner l’action des communes autonomes. L’action des coordinations régionales prioriserait : la création de cliniques populaires, la création d’écoles axées sur le savoir du peuple et ouvertes sur l’apport des peuples du monde et de la technologie moderne respectueuse de la nature et de l’être humain. Implémenter des coopératives de production. Encourager une justice populaire fondée sur la réparation au lieu du châtiment.
4 décembre 2014