Sur le territoire du Québec et du Canada vivent plusieurs peuples qui sont tous, si on me passe l’expression, copropriétaires des lieux. C’est le point de départ nécessaire pour imaginer un autre chemin vers l’émancipation. Cette question de la « copropriété » débouche sur une autre, la « cosouveraineté ». Les peuples sont par principe souverains : on appelle cela, depuis longtemps, le droit à l’autodétermination. Les mouvements populaires ont fait la preuve, mille fois plutôt qu’une, qu’un peuple qui ne respecte pas la dignité des autres peuples, qui n’accepte pas le droit à l’autodétermination, ne peut pas être libre. Une libération sociale ou nationale qui se fait sur le dos d’autres peuples est vouée à l’échec, d’une part parce que cela aboutit à violer les principes mêmes sur lesquels cette volonté de liberté est construite, d’autre part parce que les dominants finissent toujours par utiliser ces conflits intra peuples à leur avantage.
Une fois dit cela, comment faire concrètement? Comment concrétiser la cosouveraineté sur un territoire comme le Québec par exemple? La première erreur à éviter, c’est de penser que les peuples sont prêts à « troquer » leurs droits. On pense qu’on peut « acheter » ces droits, avec par exemple, plus de redevances sur les ressources. C’est traditionnellement la tactique des gouvernements. Une autre erreur est de hiérarchiser ces droits : certains peuples ont « vraiment » le droit à l’autodétermination, et d’autres ne l’ont pas, parce qu’ils sont peu nombreux, parce qu’ils ont perdu en partie leur identité, etc. Des socialistes ont souvent commis cette erreur.
Si on se reconnaît comme peuple, il n’y pas 56 manières. Il faut que cette reconnaissance aille jusqu’au bout, ce qui veut dire le droit de constituer un État souverain. Ce qui ne veut pas dire que, nécessairement, chaque peuple doit ériger des frontières et établir des barrières physiques et politiques. Des peuples souverains peuvent penser que c’est une bonne idée de partager un même territoire, si et seulement si la dignité, et donc la souveraineté, de tout un chacun soient reconnue. C’est en tout cas dans cette direction que le peuple atikamekw semble aller en Mauricie où il est établi. Reconnaître les droits des Premiers Peuples, leur accorder une pleine autonomie gouvernementale sur les questions qui concernent l’identité (comme l’éducation par exemple) serait tout à fait pensable, comme semble vouloir le dire Québec solidaire entre autres. Les Premiers Peuples devraient avoir le droit de négocier avec le pouvoir québécois sur l’utilisation de leur territoire et de ses ressources. Il faudrait aller dans le sens d’une décentralisation des pouvoirs et inventer – le mot n’est pas populaire au Québec – un « néo-fédéralisme » basé sur l’acceptation des droits nationaux, avec des statuts conséquents reconnus internationalement. C’est loin d’être utopique sachant que l’opinion a évolué, que la souveraineté québécoise ne peut aller nulle part sans le feu vert, voire l’appui explicite des Premiers Peuples. C’est un beau défi en tout cas qui reste à décortiquer…