1. Des économies portées par les béquilles du soutien public
Le PIB américain s’est contracté de – 1% au deuxième trimestre 2009, alors que le rythme de la chute avait été de – 5,4% pour le quatrième trimestre 2008 et de – 6,4% pour le premier trimestre de 2009 (à chaque fois par rapport au trimestre précédent et en rythme annuel). En ce deuxième trimestre 2009, les PIB français et allemand se sont même accrus de 0,3% (par rapport au trimestre précédent). Il n’y a pas de doutes : pour le moment, ça va moins mal.
La première explication – de loin la plus importante – est que nous sommes en présence d’économies massivement portées par les béquilles du soutien public. Ce soutien est d’une ampleur extraordinaire, jamais connue auparavant, sans précédent.
Rappelons seulement pour mémoire l’agressivité de la politique monétaire : le principal taux directeur de la Fed est fixé depuis des mois entre 0% et 0,25% (du jamais vu), le taux de la BCE est à 1% (du jamais vu également), sans compter le Japon, la Suisse, etc. Pour mémoire, car l’impact de cette politique a été faible (voire très faible) comparativement à celui de la politique budgétaire.
C’est de cette dernière qu’est venu le changement. Première forme de cette politique : on a volontairement laissé filer les déficits, car la récession entraîne automatiquement une baisse des recettes fiscales et une hausse des dépenses publiques. Aux Etats-Unis, le déficit budgétaire de cette année fiscale (qui se termine le 30 septembre) devrait atteindre (voire dépasser) les 11% du PIB (de 2008). Montant inouï, jamais vu en temps de paix. Cela fait pour l’économie américaine 11 points de PIB supplémentaires qui ont été injectés. Rappelons que l’UE n’autorise le déficit budgétaire que jusqu’à concurrence de 3% du PIB. En un an, aux Etats-Unis, en juillet 2009 (par rapport à juillet 2008) les dépenses publiques ont augmenté de 21% alors que les recettes diminuaient de 17%. Phénomène universel : en Grande-Bretagne, un déficit budgétaire de 12,4% du PIB est prévu pour l’exercice fiscal en cours, démarrant en avril 2009. En France, le déficit budgétaire s’élève à 86,6 milliards d’euros fin juin 2009 : soit 4,4% du PIB de 2008, et à fin juin il reste encore la moitié de l’année à courir.
Des sommes colossales ont ainsi été déversées sur les économies. Elles soutiennent l’activité, quelquefois de façon globale, mais d’autres fois avec un ciblage précis : tel est le cas de la « prime à la casse », introduite un peu partout, même aux Etats-Unis, une mesure qui a eu un grand succès et a beaucoup aidé au redressement récent, en particulier en France. Succès fulgurant aussi aux Etats-Unis depuis sa mise en place fin juillet (le gouvernement donne une prime qui va jusqu’à 4 500$ pour la vieille guimbarde)
Deuxième forme du soutien public : les plans de relance. Celui des Etats-Unis atteint 787 milliards $ (soit 5,5% du PIB de 2008), celui de la Chine était prévu à 585 milliards de dollars, celui de l’Allemagne représente 3,2% de son PIB et la Banque des Règlements Internationaux estime leur montant total à 5% du PIB mondial, ce qui est énorme.
Déficits abyssaux et plans de relance étant mis en œuvre simultanément en diverses régions du monde (mais essentiellement aux Etats-Unis, en Europe et en Asie), l’activité peut être soutenue dans un pays donné, non seulement par les mesures internes mais également par les exportations, c’est-à-dire par le regain d’activité dans d’autres régions du monde. Ainsi, le rôle des exportations a été essentiel pour le résultat positif du deuxième trimestre 2009 en France et en Allemagne.
Soutien budgétaire, « prime à la casse », exportations : on a là à peu près l’ensemble des éléments qui, dans les pays développés, expliquent les meilleurs résultats du deuxième trimestre 2009, et ils se ramènent tous, directement ou indirectement, à la dépense publique.
Aux Etats-Unis, l’intervention publique s’est manifestée surtout par le biais d’un soutien au revenu des ménages. Qu’il s’agisse du premier ou du deuxième trimestre de 2009, le schéma est à peu près le même : la masse salariale distribuée diminue, mais le revenu des ménages ne diminue pas dans la même proportion ou augmente (grâce aux transferts publics, allocations, etc.,qui gonflent rapidement) ; ensuite, le revenu disponible des ménages diminue dans une proportion encore moindre ou augmente, grâce aux baisses d’impôts massives. Du coup, la consommation (qui joue un rôle essentiel aux Etats-Unis) reste étale ou ne diminue que faiblement, alors qu’elle devrait s’effondrer car les ménages américains, effrayés, sont en train de reconstituer une épargne de précaution à toute allure, et ce, aux dépens de la consommation : le taux d’épargne des ménages était de 2,2% au troisième trimestre 2008, il est passé à 5,2% au deuxième trimestre 2009. Sans le caractère massif de l’intervention publique, le PIB serait au trente-sixième dessous.
En ce qui concerne la France, les éléments qui contribuaient à la dégradation de l’activité sont toujours au rendez-vous, quelquefois de façon atténuée : le déstockage se poursuit, l’investissement se contracte toujours (quoique de façon moins marquée). Les points qui font la différence sont : primo, un rebond des exportations (« forte contribution des échanges extérieurs ce trimestre », note l’INSEE) ; secundo, une légère accélération de la consommation des ménages, notamment en achats d’autos (cf. prime à la casse) d’où, rebond de la production manufacturière.
En ce qui concerne le résultat de l’Allemagne, les commentateurs mettent l’accent sur « des impulsions positives venant des dépenses privées et publiques, ainsi que du bâtiment » sur fond de plans de relance. Ils notent aussi que les importations ont reculé plus fortement que les exportations (d’où, apport positif du commerce extérieur pour une économie qui en dépend très largement).
2. Le rôle secondaire des seuils de résistance
Toute crise met en œuvre des forces dans des sens opposés : d’une part, la spirale descendante de la crise (les agents coupent dans leurs dépenses et ainsi propagent la crise) et, d’autre part, des seuils de résistance (qui peuvent être autant de points d’inversion de la conjoncture).
L’exemple type est celui des stocks des entreprises : quand celles-ci prennent conscience de la gravité de la crise, elles ont peur de voir les stocks de produits finis s’accumuler ; elles coupent donc brutalement leurs commandes de matières premières ou de produits semi-finis, ce qui étend la crise. Mais, arrivées à un certain seuil, elles sont au bord de la rupture de stocks ; elles se remettent alors tout aussi brutalement à passer commande : c’est le restockage, qui va au contraire jouer un rôle positif.
On n’a pas encore vu ce phénomène à l’œuvre en France ou aux Etats-Unis mais, de l’avis des spécialistes, il ne devrait pas tarder à se manifester. Par contre, un autre seuil de résistance a déjà joué un rôle dans le ralentissement de la chute américaine : c’est l’investissement des entreprises. En termes réels et en rythme annuel, celui-ci a chuté de 6% au troisième trimestre 2008, de 19,5% au quatrième trimestre 2008, de 39,2% au premier trimestre 2009. Une accélération fantastique donc, et on comprend que, les projets d’investissements les plus incertains étant supprimés les premiers, il y a de moins en moins de chances qu’on supprime les projets suivants au fur et à mesure qu’on a sabré dans la masse de projets existants. D’où, une chute aux Etats-Unis de l’investissement des entreprises de 9% seulement pour le deuxième trimestre 2009, ce qui contribue à expliquer le résultat (moins mauvais) de ce trimestre.
Ceci étant dit, on voit tout de suite que les seuils de résistance ont joué un rôle secondaire par rapport à l’élément largement dominant : les dépenses publiques. On voit également qu’il ne s’agit de rien d’autre que de seuils de résistance : ils peuvent constituer un point d’appui pour repartir de l’avant, mais ils peuvent être rapidement dépassés si le contexte général n’est pas favorable. La spirale à la baisse reprend alors, et on se dirige vers de nouveaux seuils de résistance, etc…
3. De deux choses l’une (l’autre, c’est le soleil)
C’est clair : le soutien public ne peut pas durer indéfiniment, surtout s’il est massif. Aux Etats-Unis, les marges de manœuvre d’Obama sur ce point sont de plus en plus réduites. En France, la dette publique atteint 73% du PIB et elle devrait avoisiner les 80% en 2010- 2011. Déjà, les agences de notation ont dégradé les notes de dette publique de la Grèce, de l’Espagne, du Portugal ; le Royaume-Uni lui-même est menacé.
Pour prendre la mesure du problème, citons Laurence Boone, chef économiste France de Barclay’s Capital : « Pour ramener sa dette à 60% du PIB dans 20 ans, la France devra consentir, chaque année, un effort de 40 à 50 milliards d’euros, soit l’équivalent des recettes d’impôts sur les revenus » (Figaro, 10/08/09). Autrement dit : pour revenir à un niveau maîtrisable de la dette publique, il faudrait y consacrer pendant 20 ans d’affilée l’intégralité des recettes de l’impôt sur le revenu !
Le soutien public devra donc s’arrêter ou ralentir significativement, et ce dans des délais qui ne sont pas extensibles à l’infini C’est alors que sonnera l’heure de vérité.
A ce moment, de deux choses l’une. Soit le privé (consommation des ménages, investissement des entreprises, etc.) n’embraye pas sur le public, ne prend pas la relève. La spirale descendante l’a emporté, et les remèdes envisageables ont pratiquement tous été utilisés. Nous sommes passés d’une récession à une profonde dépression, nous entrons dans un monde nouveau.
Soit le privé embraye sur le soutien public. Difficile d’apprécier la probabilité d’un tel événement, mais il faut dire que tel n’est pas le cas aujourd’hui : il n’y a pas actuellement dans les pays développés de dynamique autonome du privé, d’un privé qui marcherait sans les béquilles publiques.
Ainsi, aux Etats-Unis, la consommation des ménages ne peut se soutenir toute seule, l’investissement des entreprises continue à chuter, même si c’est plus lentement, le déstockage se poursuit. Dès lors, une rechute est possible à tout moment, car la crise est toujours là.
En effet, le chômage explose, menaçant les dépenses des particuliers, consommation mais aussi achats de logements. Le marché immobilier ralentit sa chute, mais il coulera de l’eau sous les ponts avant qu’il puisse aider à une solide reprise. Quant aux banques, des résultats récents ne doivent pas faire illusion : la présentation comptable est plus laxiste, des ventes exceptionnelles d’éléments d’actifs font flamber les bilans, et l’essentiel des profits sont fournis par les entrées engrangées par les opérations d’une Bourse requinquée. De nouveaux défauts de paiement se rajoutent aux anciens et les actifs toxiques sont toujours là : le seul pays qui ait prévu une « structure de défaisance » en bonne et due forme, c’est l’Allemagne. Aux Etats-Unis, le plan mis en place a accouché d’une souris, le Trésor public s’impliquant pour le montant ridicule de 30 milliards de dollars. Autant dire que la fin des restrictions de crédit (et de leur effet désastreux sur l’économie) n’est pas pour demain.
De toutes façons, même si la croissance est de retour, il s’agira d’une croissance molle, chaotique, et ce pour plusieurs années. En effet, on ne pourra pas à nouveau exploiter à fond les mêmes filons : baisse de l’épargne des ménages, surendettement, etc. et rien de neuf ne semble sortir de la crise, malgré son ampleur et sa violence.
Les capitalistes s’accrochent farouchement au même modèle qui vient de faire faillite. Cependant, une croissance n’est pas exclue pour les deux ou trois trimestres à venir. D’une part, le soutien public va, dans l’immédiat, se poursuivre. D’autre part, un effet de rattrapage peut temporairement se manifester : les plans de dépense des agents économiques, reportés du fait de la crise, peuvent commencer à être appliqués. Les ménages peuvent procéder à des achats qu’ils avaient envisagés avant la récession, les entreprises réaliser des investissements devenus indispensables, etc…
Le tout évidemment sous la contrainte d’une crise qui se poursuit, avec le chômage (qui sape les bases de la consommation), la crise bancaire (qui restreint les crédits), etc.