La préhistoire
L’histoire de ce qu’on appelle maintenant les centres de la petite enfance (CPE) débute dans les années 1970. À l’époque, des parents, en majorité des femmes, créent « des garderies populaires ». Ce système fonctionne : il permet aux femmes un retour sur le marché du travail et donne aux enfants un milieu de vie sécuritaire et adapté à leurs besoins. On reconnaît par le fait même que la société a un rôle à jouer dans le domaine de la petite enfance. Des groupes de femmes, des organismes communautaires et le mouvement syndical décident alors de se mobiliser et de revendiquer la mise en place d’un réseau universel de garderies sans but lucratif accessible à tous. Après moult manifestations et pressions, le gouvernement accepte en 1974 d’offrir des subventions de démarrage à de nouvelles garderies. Parallèlement, il développe une offre de subventions aux parents selon leur revenu. Résultat : on a enfin des garderies gérées par les parents-usagers et financées en partie par l’État. En 1979, nouveau rebondissement, le gouvernement du Parti québécois (PQ) adopte la Loi sur les services de garde à l’enfance qui privilégie les coopératives et les entreprises à but non lucratif administrées majoritairement par les parents. Le nouveau cadre prévoit également une exonération financière pour les parents (deux dollars par jour par enfant), versée directement aux garderies. On parle d’un service universel, accessible et d’égalité des chances partant du principe que l’aide financière n’est plus accordée en fonction de la capacité de payer des parents. On reconnaît aussi légalement la garde en milieu familial.
Le mouvement vers les CPE
Dans les années 1980, l’Office des services de garde à l’enfance est créé, avec comme mandant de réglementer, de délivrer les permis et d’administrer les subventions aux garderies. On reconnaît la profession d’éducatrice en petite enfance et, avec la syndicalisation qui progresse, les conditions de travail pour le personnel des garderies s’améliorent sensiblement. Le vocabulaire change peu à peu : les gardiennes d’enfants deviennent des éducatrices à l’enfance.
Dix ans plus tard, en 1991, Camil Bouchard, président du Groupe de travail pour les jeunes, publie un rapport largement commenté, Un Québec fou de ses enfants[1], qui propose de doter le Québec de mesures de prévention pour les enfants vulnérables, tout en évoquant le projet de création d’un réseau de services de garde éducatif. L’idée progresse et, en 1996, lors du Sommet sur l’économie et l’emploi organisé par le gouvernement du PQ, la conciliation travail-famille devient un enjeu de la relance économique.
La mise en place
En 1997, Pauline Marois, alors ministre de l’Éducation dans le gouvernement de Bernard Landry, dévoile une nouvelle politique familiale : Les enfants au cœur de nos choix. Cette politique prévoit notamment la création d’un réseau de centres de la petite enfance, dans le but de favoriser la conciliation travail-famille en offrant (2006 est l’échéance) 200 000 places à un tarif universel de cinq dollars par jour. C’est un projet porteur, exprimant une réelle volonté politique de doter la société d’un projet d’envergure, qui met en avant l’importance de la famille et des enfants. Le modèle prend la forme d’un guichet unique où les parents et les enfants ont accès à une gamme complète de services de première ligne. Les CPE deviennent rapidement populaires, mais l’offre ne répond pas à la demande. Plusieurs familles se retrouvent sur des listes d’attente et doivent parfois utiliser un service de garde privé non subventionné en attendant la place rêvée.
Plus tard, une nouvelle politique familiale et une loi créant le ministère de la Famille et de l’Enfance réaffirment le choix du modèle de gestion à propriété collective et reconnaissent l’importance de la participation des parents à l’administration des services de garde. La politique familiale définit également le centre de la petite enfance comme un organisme offrant, outre des services de garde éducatifs aux enfants d’âge préscolaire, des services plus spécifiques adaptés aux besoins des enfants et des familles, et ce, en collaboration avec des partenaires du milieu. L’augmentation du nombre de places en CPE progresse alors selon un rythme d’environ 15 000 places par année. Parallèlement, un organisme représentant l’ensemble des CPE se met en place.
Durant cette période, les CPE ont la cote. Des chercheur-e-s et des acteur-e-s dans le domaine de la petite enfance, du reste du Canada et même d’autres pays, viennent observer ce qui se fait au Québec. Une sorte de « modèle québécois » est alors reconnu à travers le monde.
L’entreprise de démolition
Dès son retour au pouvoir en 2003, le Parti libéral entreprend de renverser ces avancées. Débute alors une guerre interminable contre les CPE. Le gouvernement effectue un changement de priorités pour favoriser la privatisation et la commercialisation de l’offre de services de garde. On attaque alors l’idée que les CPE répondent aux besoins de toute la société. On affirme qu’ils ne constituent qu’un « service parmi d’autres », sans égard à la qualité des services éducatifs. Plus important encore que la hausse de tarif dont les parents font les frais, ce sont les conditions de garde qui se détériorent. Ce faisant, le gouvernement oublie les deux grands objectifs de départ des CPE : d’abord, faciliter la conciliation travail-famille et l’entrée des mères sur le marché du travail, et ensuite, assurer l’égalité des chances dès le plus jeune âge, particulièrement dans les milieux défavorisés.
Confrontations
Pour parvenir à cette « réingénierie » des services de garde et, plus largement, des services publics, l’État impose des coupes de 20 millions de dollars et stoppe la création de nouveaux CPE qui devaient compléter le réseau. Par ailleurs, il favorise le développement des garderies commerciales, de sorte qu’en mars 2017, plus de 20 % de toutes les places en service de garde sont pourvues par des garderies commerciales. Pourtant en 2003, l’enquête Grandir en qualité sur la qualité des services de garde démontrait que sur les 605 services de garde visités, 37 % des garderies privées étaient jugées insatisfaisantes, comparativement à 6 % des CPE.
Parallèlement aux coupes et à la commercialisation, le gouvernement Charest impose une hausse substantielle des tarifs de 5 à 7 dollars par jour, malgré une grande mobilisation. Entre-temps, plusieurs CPE se retrouvent en situation financière précaire et même en situation de déficit budgétaire. En 2005, le gouvernement en rajoute. Le projet de loi 124, adopté sous le bâillon juste avant les Fêtes, est imposé malgré le fort mécontentement public. La loi menace de manière non équivoque la survie du modèle des CPE, en les faisant passer sous l’égide des « bureaux coordonnateurs », ce qui vient briser, en bonne partie, le lien de proximité avec le milieu familial. Jamais depuis sa création, la mission et l’intégrité du réseau des centres de la petite enfance n’ont été remises en question de façon aussi brutale. Par la suite, une nouvelle vague de coupes ampute les CPE de leurs réserves pendant que la subvention de base est diminuée. Si on additionne tout cela, le gouvernement libéral de Jean Charest a enlevé en dix ans près de 500 millions au réseau des CPE, soit environ 20 % de leur budget total.
La guerre contre les CPE continue
Le gouvernement libéral de Philippe Couillard continue la guerre contre les CPE. De nouvelles règles budgétaires complexes et contraignantes mettent la tête des CPE sur le billot. On les oblige à faire des choix déchirants : couper dans le matériel pédagogique, dans la formation, dans les heures d’entretien, ou dans le coût des repas servis aux enfants. De plus, 900 emplois en CPE ont été supprimés, seulement dans la région de Montréal, alors que les garderies commerciales connaissent un envol, à cause des politiques du gouvernement et de leurs coûts moindres. Le salaire moyen du personnel des garderies commerciales est de 20 % plus bas que celui dans les CPE. En coupant des postes en CPE, le gouvernement ramène ces employé-e-s, principalement des femmes, dans des conditions de pauvreté.
En 2015, le gouvernement instaure la modulation des tarifs en CPE (de 8,05 $ à 20,70 $ par jour) selon le revenu des parents, sous le motif fallacieux de « faire payer les riches ». Or, parallèlement, il bonifie les crédits d’impôt offerts aux parents qui inscrivent leur enfant dans une garderie commerciale privée; ce sont les parents avec les revenus les plus élevés qui en profitent le plus. Le milieu des CPE se retrouve à faire face à une réelle compétition des garderies privées et devient de plus en plus vulnérable. Alors qu’il y a 10 ans, les listes d’attente pour une place en CPE débordaient et qu’avoir une place était reçu comme un cadeau, on observe aujourd’hui la situation inverse : les CPE ont de la difficulté à combler les places vides. La décision gouvernementale d’obliger les CPE à financer 50 % de leurs immobilisations, ajoutée à celle de la modulation des tarifs de garde en fonction du revenu familial, ont rendu la fréquentation des CPE plus onéreuse et ont amené des parents à envoyer leurs enfants dans des garderies commerciales.
Pour ne pas conclure
Tout au long de leur développement, les centres à la petite enfance sont devenus de véritables milieux de vie pour les enfants et leurs parents demeurent partie prenante dans la gestion de leurs centres. Ils sont nés de la mobilisation de parents réunis dans des assemblées de cuisine, du besoin des familles de se doter d’un service de garde de qualité, accessible et universel pour les petits. C’est ce qui a fait leur force, leur particularité. Toutes les enquêtes, études et analyses produites dans les dernières années s’entendent pour dire que la qualité des services est de loin supérieure en CPE. On ne démordra pas des principes de départ des CPE, soit l’accessibilité et l’universalité. Si on se permet de rêver, on aurait des CPE gratuits, des places pour tous les enfants, une reconnaissance du travail d’éducatrice à la petite enfance avec un salaire décent, une qualité éducative irréprochable et une société qui croit en l’importance de ses touts petits.
Marie-Claude Gagnon, Militante des CPE
- Camil Bouchard (dir.), Un Québec fou de ses enfants, Rapport du groupe de travail sur les jeunes, ministère de la Santé et des Services sociaux, Québec, 1991. ↑
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