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Corruption politique : au-delà de la pomme pourrie

Chaque fois qu’il en est question, on nous sert la même image. Il suffit d’identifier quelques fruits pourris, de les sortir du panier et de punir ceux qui les ont mis là. Simple et pratique, l’image fait l’économie d’une analyse de la dimension systémique du problème et des éventuels mécanismes de contre-pouvoir institutionnels et démocratiques, ce qui pourrait permettre de déployer une politique préventive. Plus encore, cette image chirurgicale permet de gommer le contexte politique et l’environnement idéologique.

Il était une fois le néolibéralisme…

Le néolibéralisme émerge dans les années 1970. Son discours antiétatique devient dominant. Les gouvernements à toutes les échelles ne parlent plus que de faire faire. Dans cette vision, l’État est obèse, bureaucratique, coûteux et inefficace. Heureusement qu’il y a le privé et tous ses nouveaux mots à la mode tel efficience, excellence et la toute dernière bonne gouvernance.  Dans ce contexte, les personnes deviennent des clients. Les serviteurs de la chose publique sont décrits comme des résidus d’un passé inefficace. En plus, ils sont paresseux et syndiqués. C’est dans le secteur privé où se trouvent dynamisme et créativité en raison de l’implacable aiguillon de la compétition des acteurs économiques avec en bout de course le meilleur rapport coût-bénéfice pour le contribuable. Nous cessons peu à peu d’être des usagers ou des citoyens. Nous ne sommes que des contribuables. Enfin, 60 % d’entre nous, nous rappelle-t-on. Les autres, ces 40% qui sont trop pauvres pour payer de l’impôt, cela n’est pas leur affaire.

Quel est le résultat ? Le trésor public a été littéralement siphonné par un véritable système de collusion au profit d’une partie de la classe politique et de ce secteur occulte de la classe dominante qu’on nomme la pègre. Ce discours crée un environnement idéologique anti-État et pro-marché. Mais aussi, il sert de fer de lance au démantèlement et à la dispersion des savoir-faire collectifs, délestant ainsi la puissance publique de ses fonctions d’évaluation et d’arbitrage. Loin d’être un délire gauchiste, cette critique est celle de l’ex-policier Duchesneau : « Tout se passe comme si le ministère avait autorisé un transfert de compétences vers le secteur privé, sans toutefois s’assurer de conserver suffisamment d’expertise pour gérer adéquatement son réseau ». Ça fait combien de temps que les syndicats, dont le local 301 représentant les cols bleus de Montréal, disent et écrivent la même chose ? Mais personne n’écoute. En luttant contre la sous-traitance, ces gras durs de syndiqués sont accusés de défendre leurs emplois. Quelle honte ! Dans ce contexte idéologique, le syndicalisme est décrit comme le principal défenseur du « tout à l’État », évidemment suspect de corporatisme.

Les idéologues néolibéraux, l’Institut économique de Montréal en tête, ont une responsabilité morale et politique dans la situation actuelle. La dernière tentative en date de pointer du doigt les ouvriers de la construction qui travaillent au noir n’est rien d’autre qu’une tentative de diversion qui ne trompe personne.

Une commission d’enquête ? Bien sur mais après ?

Évidemment, il faut nettoyer l’écurie et prendre tous les moyens pour le faire. Et cela doit essentiellement se faire publiquement comme il se doit d’un acte de justice au sein d’un État de droit. Mais pour être pleinement efficace, ce travail de salubrité publique doit s’accompagner d’une réflexion en profondeur, non seulement sur les conditions favorisant l’émergence et la prolifération des pratiques corruptrices. Également il faut plancher sur les meilleurs moyens tant sur le plan institutionnel qu’au chapitre de la culture politique pour prévenir ce fléau qui comme dit le proverbe commence toujours par pourrir la tête du poisson.

Il s’agit bien sur de redonner à l’État son rôle central (pas nécessairement exclusif), comme maître d’œuvre des grands travaux, ce qui pourrait impliquer la nationalisation d’une firme d’ingénierie (comme le suggère l’Autre journal), question de minimiser les dommages causés par la corruption à notre savoir-faire collectif. Également, il faut permettre aux syndicats du secteur public de jouer un véritable rôle de chien de garde de l’intérêt public, notamment en rendant encore plus fluide les mécanismes d’accès à l’information. Ceci passe notamment par une véritable immunité pour les whistle blowers qui agissent au nom de l’intérêt public.

Plus encore, il faut restaurer une véritable culture du service public qui réhabilite et valorise le travail des serviteurs de l’État. Il faut oser interroger la capacité de l’actuelle magistrature à agir comme  véritable  contre-pouvoir efficace. Une discussion sur le rôle que pourrait jouer en permanence une magistrature de carrière aux importants pouvoirs d’enquête s’impose.

Bref, il ne suffit pas de jeter quelques petits fruits pourris, mais de comprendre davantage que le Québec que nous voulons est beaucoup trop important pour être laissé aux bons soins du merveilleux monde des affaires.

 

 

 

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