On connaît maintenant l’ampleur du problème de la corruption. Selon le Comité catholique contre la faim et pour le développement, entre 100 et 180 milliards de dollars ont été détournés par des dirigeants au cours des dernières décennies. Si la corruption n’est pas nouvelle, son importance et ses conséquences dépendent des situations. Ce n’est pas seulement une question morale. C’est pourquoi les études de l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE) ou de la Banque mondiale ne sont pas très convaincantes. Elles supposent que la corruption pourrait être combattue sans toucher au fondement du système économique international.
La corruption s’exacerbe avec le néolibéralisme
Le néolibéralisme est fondé la subordination de chaque société et du monde à la logique du marché mondial des capitaux, et sur de nouvelles politiques, celles de l’ajustement structurel, des plans d’austérité, de la précarisation du travail et du démantèlement de l’État social. Le néolibéralisme se traduit par une mutation qualitative de la corruption. Cette mutation qualitative résulte de la destruction des formes de régulation au niveau des États et du système mondial et de la formidable concentration des pouvoirs financiers et politiques. La liberté pour les capitaux se traduit par un nouveau système international fondé sur un libre échange exacerbé qui repose sur le déchaînement de quatre dumpings :
- le dumping social et la concurrence sur les salaires, la précarisation et la remise en cause des systèmes de protection sociale ;
- le dumping fiscal qui s’est traduit par la course à la défiscalisation pour les hauts revenus et les entreprises et par la floraison des paradis fiscaux ;
- le dumping environnemental qui se traduit par la destruction de tous les mécanismes de protection de l’environnement et de la santé ;
- le dumping monétaire sur les variations de change. Il s’agit véritablement du cadre institutionnel international de la corruption.
Le cadre institutionnel international a accentué les formes classiques de corruption, notamment dans le commerce des matières premières et de l’armement. Les entreprises sont soumises à une totale emprise des marchés financiers à travers l’actionnariat international. Elles développent de nouvelles méthodes qui sont directement liées à l’économie rentière et aux privilèges. On a par exemple vu fleurir des modèles de calcul économique du « coût d’accès à la rente », qui explicitent concrètement combien il faut consacrer, notamment, à la corruption. D’un autre côté, l’ouverture au marché mondial et l’obligation d’ouvrir les marchés publics à la concurrence internationale accentue les délocalisations et pousse à la concentration des entreprises et aux oligopoles. La question de la dette est directement liée au néolibéralisme. La gestion de la crise de la dette par le G7 a été l’arme principale de la crise de la décolonisation et même d’une forme de recolonisation. Pourtant dès le départ a été posée la question des dettes illégitimes et particulièrement des dettes odieuses, des dettes imposées par les pays occidentaux et des dettes passées par des régimes illégitimes.
La lutte pour la réappropriation de l’espace social
Devant l’explosion de la corruption, des mobilisations sans précédent ont fait irruption. Elle a exprimé la colère face à la détérioration des conditions de vie et à la mise en place des plans d’austérité. Elle prend acte de l’incapacité des institutions et des forces politiques à apporter des réponses face à la crise économique, sociale et environnementale. Elle montre que parallèlement et contradictoirement aux tendances autoritaires et conservatrices, les mobilisations populaires ouvrent de nouvelles voies. La question centrale posée par le nouveau cycle de luttes est la question démocratique. Elle est confirmée comme un impératif qui doit être complètement repensé. Les peuples des places affirment que la revendication des libertés est universelle et définissent la démocratie comme le système qui, dans chaque situation, préserve et élargit les libertés individuelles et collectives. Ils expérimentent de nouvelles manières de lier l’individuel et le collectif. Toutes les révolutions sont inachevées mais leur impulsion continue à progresser à travers les mouvements d’émancipation. Les nouveaux mouvements remettent l’impératif démocratique au centre du débat mondial de la transformation des sociétés et du monde. Ils pointent les limites inacceptables et les faux-semblants des démocraties réellement existantes. Ils révèlent que la corruption est le point d’arrivée de la fusion entre le pouvoir politique et le pouvoir économique, de la subordination du politique à l’économique. De là découle la méfiance par rapport aux gouvernements et aux institutions existantes sous leurs différentes formes : « Ils ne nous représentent pas ». La lutte contre la corruption passe par la réappropriation de l’espace public et de la souveraineté populaire.
Dans les nouveaux mouvements, de nombreuses prises de position mettent en avant, directement ou indirectement, la lutte contre la corruption. La clé de la modification d’un régime autoritaire se trouve dans l’élimination de la rente illégitime, dans le refus de la corruption sous ses différents aspects, la mise en place d’une politique économique non rentière, l’instauration de lois communes d’accès aux droits et dans le contrôle de la spéculation sous ses formes financières et économique. Au-delà de la démocratisation, étape nécessaire aujourd’hui, une orientation alternative à la mondialisation capitaliste est aujourd’hui en gestation. Elle doit répondre aux contradictions ouvertes : les contradictions sociales, écologiques, géopolitiques, démocratiques. Une orientation s’est dégagée dans les forums sociaux mondiaux par rapport à la logique dominante de la subordination au marché mondial des capitaux. Elle correspond à la liaison entre justice sociale et urgence écologique qui nécessite de nouveaux rapports sociaux de production et de consommation. Il s’agit de mettre en avant, pour organiser chaque société et le monde, l’accès aux droits pour tous et l’égalité des droits. C’est le fondement nécessaire d’une société qui refuse d’être régie par la corruption.
* G. Masssiah est membre du Centre d’études et d’initiatives de solidarité internationale et du Réseau Initiatives Pour un Autre Monde. Le texte a été présenté à l’université populaire des NCS, 16 août 2013. La présentation inclut des extraits d’un article paru dans la Revue de l’IRIS, « Argent des dictateurs, corruption et néolibéralisme » n°85, printemps 2012.