On savait que le sommet des Nations Unies à Copenhague ne déboucherait pas sur un nouveau traité international mais sur une simple déclaration d’intention – une de plus. Mais le texte adopté au terme de la rencontre est pire que tout ce qu’on pouvait imaginer: pas d’objectifs chiffrés de réduction des émissions, pas d’année de référence pour les mesurer, pas d’échéance, pas de date ! Le texte comporte une vague promesse de cent milliards de dollars par an pour l’adaptation dans les pays en développement, mais les formules utilisées et divers commentaires font craindre des prêts administrés par les grandes institutions financières plutôt que de vraies réparations payées par les responsables du gâchis.
L’incohérence du document est totale. Les chefs d’Etat et de gouvernement reconnaissent que «le changement climatique constitue un des plus grands défis de notre époque» mais, à l’issue de la quinzième conférence de ce type, ils sont toujours incapables de prendre la moindre mesure concrète pour y faire face. Ils admettent – c’est une première ! – la nécessité de rester «au-dessous de 2°C» de hausse de la température, donc la nécessité de «réductions drastiques» (deep cuts) des émissions «conformément au quatrième rapport du GIEC», mais sont incapables d’endosser les conclusions chiffrées par les climatologues: au moins 40% de réduction en 2020 et 95% de réduction en 2050 dans les pays développés. Ils soulignent avec emphase leur «forte volonté politique» de «collaborer à la réalisation de cet objectif» (moins de 2°C de hausse de la température), mais n’ont rien d’autre à proposer qu’une auberge espagnole où chaque pays, d’ici le 1er février 2010, communiquera aux autres ce qu’il compte faire.
Piégés par l’hyper-médiatisation qu’ils ont eux-mêmes orchestrée, les grands de ce monde se sont retrouvés sous les feux de la rampe, sans rien d’autre à montrer que leurs rivalités sordides. Alors, les représentants de 26 grands pays ont viré les ONG, écarté les petits Etats et pondu en catastrophe un texte dont le but principal est de faire croire qu’il y a un pilote politique dans l’avion. Mais il n’y a pas de pilote. Ou plutôt, le seul pilote est automatique: c’est la course au profit des groupes capitalistes lancés dans la guerre de concurrence pour les marchés mondiaux. Le candidat Obama et l’Union Européenne avaient juré leurs grands dieux que les entreprises devraient payer leurs droits d’émissions. Bernique: en fin de compte, la plupart d’entre elles les ont reçu gratuitement et font du profit avec, en les revendant et en les facturant au consommateur ! Tout le reste est à l’avenant. Touche pas au grisbi, telle est la consigne.
Ce soi-disant accord sue l’impuissance par tous les pores. Rester au-dessous de 2°C, cela ne se décrète pas. Pour peu que ce soit encore possible, il y a des conditions drastiques à remplir. Elles impliquent en définitive de consommer moins d’énergie, donc de transformer et de transporter moins de matière. Il faut produire moins pour la demande solvable et satisfaire en même temps les besoins humains, notamment dans les pays pauvres. Comment faire ? C’est la question clé. Elle n’est pas si difficile à résoudre. On pourrait supprimer la production d’armes, abolir les dépenses de publicité, renoncer à quantité de fabrications, d’activités et de transports inutiles. Mais cela irait à l’encontre du productivisme capitaliste, de la course au profit qui nécessite la croissance. Sacrilège ! Tabou ! Résultat des courses ? Alors que les émissions mondiales doivent diminuer de 80% au moins d’ici 2050, alors que les pays développés sont responsables de plus de 70% du réchauffement, la seule mesure concrète épinglée dans l’accord est l’arrêt de la déforestation… qui ne concerne que le Sud et représente 17% des émissions. Avancée écologique ? Que nenni ! «Protéger» les forêts tropicales (en chassant les populations qui y vivent !) est pour les pollueurs le moyen le moins cher d’acheter le droit de continuer à produire (des armes, de la publicité, etc) et à polluer … donc de continuer à détruire les forêts par le réchauffement. C’est ainsi que la loi du profit pourrit tout ce qu’elle touche et transforme tout en son contraire.
Heureusement, face à la déroute au sommet, Copenhague est une magnifique victoire à la base. La manifestation internationale du samedi 12 décembre a rassemblé quelque 100.000 personnes. Le seul précédent de mobilisation aussi massive sur cette thématique est celui des cortèges qui ont regroupé 200.000 citoyens australiens dans plusieurs villes simultanément, en novembre 2007. Mais il s’agissait d’une mobilisation nationale et l’Australie subit de plein fouet les impacts du réchauffement: ce n’est (encore) pas le cas des pays européens d’où sont venus la plupart des manifestants qui, en dépit d’une répression policière féroce, ont investi la capitale nordique au cri de «Planet first, people first». Face à l’incapacité totale des gouvernements, face aux lobbies économiques qui empêchent de prendre les mesures pour stabiliser le climat dans la justice sociale, de plus en plus d’habitants de la planète comprennent que les catastrophes annoncées par les spécialistes ne pourront être évitées qu’en changeant radicalement de politique.
Copenhague symbolise cette prise de conscience. Elle s’exprime par la participation d’acteurs sociaux qui, il y a peu encore, se tenaient à l’écart des questions écologiques, voire les envisageaient avec méfiance: organisations de femmes, mouvements paysans, syndicats, associations de solidarité Nord-Sud, mouvement de la paix, groupements altermondialistes, etc. Un rôle clé est joué par les peuples indigènes qui, en luttant contre la destruction des forêts (dans un rapport de forces digne de David affrontant Goliath !), symbolisent à la fois la résistance à la dictature du profit et la possibilité d’une autre relation entre l’humanité et la nature. Or, ces forces ont en commun de miser davantage sur l’action collective que sur le lobbying, cher aux grandes associations environnementales. Leur entrée en scène déplace radicalement le centre de gravité. Désormais, la lutte pour un traité international écologiquement efficace et socialement juste se jouera dans la rue – plus dans les couloirs des sommets – et ce sera une bataille sociale – plus un débat entre experts.
Tandis que le sommet officiel accouchait d’un chiffon de papier, la mobilisation sociale et le sommet alternatif ont jeté les bases politiques de l’action à mener à la base dans les prochains mois: «Change the system, not the climate», «Planet not profit», «bla bla bla Act Now», «Nature doesn’t compromise», ««Change the Politics, not the climate», «There is no PLANet B». En dépit de ses limites (concernant le rôle des Nations Unies, notamment) la déclaration du Klimaforum09 est un bon document, qui rejette le marché du carbone, le néocolonialisme climatique et la compensation («offsetting») des émissions par des plantations d’arbres, ou d’autres techniques bidon. De plus en plus de gens le comprennent: la dégradation du climat n’est pas le fait de «l’activité humaine» en général mais bien d’un mode de production et de consommation insoutenable. Et ils en tirent la conclusion logique: le sauvetage du climat ne saurait découler seulement d’une modification des comportements individuels, il requiert au contraire des changements structurels profonds. Il s’agit de mettre en accusation la course au profit, car celle-ci entraîne fatalement la croissance exponentielle de la production, du gaspillage et du transport de matière, donc des émissions.
Catastrophe, l’échec du sommet ? Excellente nouvelle au contraire. Excellente nouvelle car il est temps que s’arrête ce chantage qui impose que, en échange de moins d’émissions, il faudrait plus de néolibéralisme, plus de marché. Excellente nouvelle car le traité que les gouvernements pourraient conclure aujourd’hui serait écologiquement insuffisant, socialement criminel et technologiquement dangereux: il impliquerait une hausse de température entre 3,2 et 4,9°C, une montée du niveau des océans de 60cm à 2,9 mètres (au moins), et une fuite en avant dans des technologies d’apprenti-sorcier (nucléaire, agrocarburants, OGM et «charbon propre» avec stockage géologique de milliards de tonnes de CO2). Des centaines de millions de pauvres en seraient les principales victimes. . Excellente nouvelle car cet échec dissipe l’illusion que la «société civile mondiale» pourrait, par «la bonne gouvernance», en associant tous les «stakeholders», trouver un consensus climatique entre des intérêts sociaux antagoniques. Il est grand temps de voir qu’il n’y a, pour sortir des combustibles fossiles, que deux logiques totalement opposées: celle d’une transition pilotée à l’aveugle par le profit et la concurrence, qui nous mène droit dans le mur; et celle d’une transition planifiée consciemment et démocratiquement en fonction des besoins sociaux et écologiques, indépendamment des coûts, donc en recourant au secteur public et en partageant les richesses. Cette voie alternative est la seule qui permette d’éviter la catastrophe.
Le roi est nu. Le système est incapable de répondre au gigantesque problème qu’il a créé autrement qu’en infligeant des dégâts irréparables à l’humanité et à la nature. Pour l’éviter, l’heure est à la mobilisation la plus large. Nous sommes toutes et tous concerné(e)s. Le réchauffement de la planète est bien plus qu’une question «environnementale»: une énorme menace sociale, économique, humaine et écologique, qui nécessite objectivement une alternative écosocialiste. Le fond de l’affaire: le capitalisme, en tant que système, a dépassé ses limites. Sa capacité de destruction sociale et écologique l’emporte clairement sur son potentiel de progrès. Puisse ce constat aider à faire converger les combats en faveur d’une autre société. Les manifestants de Copenhague ont ouvert la voie. Ils nous invitent à les rejoindre dans l’action: «Act now. Planet, not profit. Nature doesn’t compromise».