La possibilité d’alliance tactique électorale entre le PQ et QS, malgré un vote de congrès de Québec solidaire défavorable, a fait couler beaucoup d’encre, beaucoup trop. En pensant contourner la distorsion du système parlementaire certains membres de QS font courir un risque beaucoup plus dangereux à QS que la non élection de député-es. Posons la question froidement, pourquoi une alliance avec le PQ et non avec d’autres partis comme la CAQ ou l’ancienne ADQ ? Parce que ce sont des partis qui défendent une politique néolibérale, direz-vous, contre les travailleurs et travailleuses, pour l’enrichissement de la classe dirigeante. Mais alors le PQ serait différent, plus à gauche ? Alors pourquoi se tuer à vouloir construire un autre parti ?
Depuis plus de trente ans la gauche politique québécoise s’évertue à faire la preuve que le préjugé favorable du PQ envers les travailleurs et travailleuses n’est qu’un écran de fumée. Il a agi comme éteignoir sur les luttes ouvrières et populaires. Bénéficiant de l’appui des directions syndicales et d’une majeure partie des travailleurs et travailleuses, il a pu aller plus loin dans les reculs imposés que n’aurait pu le faire le gouvernement Libéral. Les coupures de 20% du salaire des enseignants en 1985 en sont un exemple. La politique de déficit zéro du gouvernement Bouchard en 1996 a retranché du déficit québécois $3,5 milliards en à peine trois ans, a coupé des milliers d’emplois dans le secteur de l’éducation et dans le secteur de la santé.
Il a affaibli les services publics à un point tel que le gouvernement a du rappeler quelques années plus tard des infirmières qui avaient été mises à la retraite. Il est important de se rappeler que cette démolition de nos services publics s’est faite dans le cadre de sommets socio-économiques de mars et octobre 1996 et à laquelle les directions syndicales avaient donné leur aval. Nous en subissons encore les séquelles aujourd’hui. Le gouvernement Libéral de Jean Charest élu en 2003 n’a donc pas inventé la roue lorsqu’il a fait adopter une série de lois rétrogrades qui ont approfondi la précarisation de notre système de santé et d’éducation, le lit avait déjà été fait par le PQ.
Durant toute cette période et encore aujourd’hui, le mouvement syndical de façon certaine et le mouvement populaire dans une moindre mesure, ont été embrigadés dans le giron du PQ. Comme nous l’avons constaté, cela n’a pas été sans impact sur leurs stratégies de lutte. Il a fallu un travail de politisation et d’organisation de plusieurs années pour réussir à construire les bases d’un parti politique alternatif auquel se sont joints de nombreux militants et militantes en rupture avec le PQ. Cela a constitué un défi important que Québec Solidaire a réussi à relever.
La place du Québec en tant que nation opprimée dans l’État canadien a fait en sorte que les luttes pour l’émancipation sociale au Québec se sont transposées en luttes pour la libération nationale contre l’État canadien et contre l’establishment anglo-saxon. Le PQ est apparu comme le défenseur de la nation québécoise francophone, mais son projet est assez vite entré en opposition avec le mouvement ouvrier.
Cette direction a chevauché les aspirations nationales des travailleurs et travailleuses québécois depuis plus de 30 ans dans un projet qui ne représente pas une lutte contre la domination de l’État canadien, mais un accommodement pour la petite bourgeoise québécoise dans l’État canadien. Au niveau économique ce projet est d’ailleurs régulièrement entré en conflit avec les luttes syndicales et populaires pour des raisons évidentes. Les compagnies, fussent-elles québécoises, ne défendent pas les mêmes intérêts que les travailleurs et travailleuses, les sans-emplois, les étudiants et les étudiantes.
La lutte pour la souveraineté du Québec, c’est la lutte pour le contrôle des masses laborieuses sur leur destinée. Cette victoire ne sera jamais arrachée par le PQ, elle ne sera même jamais véritablement menée par lui. Parce qu’il représente des intérêts opposés, parce que la lutte de libération nationale du Québec exige une mobilisation que le PQ ne peut soulever de crainte d’en perdre le contrôle.
Nous sommes toujours aujourd’hui au cœur de ce défi. La crise qui traverse le PQ comme celui qui a traversé le Bloc québécois, a comme fondement la crise d’une stratégie d’autonomie nationale sans issue parce que confrontée objectivement aux aspirations économiques, sociales, féministes et écologiques des masses populaires seules capables d’exercer un rapport de force contre l’État fédéral et les multinationales. Le seul attrait qui persiste demeure la question identitaire et linguistique. Mais à ce chapitre le PQ demeure prisonnier de la difficulté d’imposer un élargissement de la loi 101 en milieu de travail sans confronter les entreprises, ce qui ne se fera pas sans mobilisation populaire. L’intégration de la loi 101 dans les Cegeps reste donc une échappatoire plus facile à réaliser mais sans résoudre pour autant la question de l’intégration au français comme langue de travail.
En avançant la possibilité de pactes tactiques avec ce parti, on vient de défaire ce que nous avons mis tant de temps à construire, c’est-à-dire la rupture avec l’idéologie néolibérale du PQ enrubannée dans un discours soi- disant souverainiste. Ce faisant on se jette des bâtons dans les roues et on nuit bien plus à la croissance de QS que l’absence toute hypothétique de gains électoraux. Hypothétique parce que rien ne garantit le transfert des appuis au PQ vers des votes pour un ou une candidate de QS, mais également parce que la direction du PQ n’a pas réellement cette option en tête.
Faut-il rappeler que lors d’un colloque en 2010 le PQ avait pris position en faveur de l’enrichissement individuel, qu’il est en faveur de l’augmentation des frais de scolarité, qu’il a retiré de son programme la réforme du mode du scrutin.
D’ailleurs il ne faut pas se faire d’illusions, le PQ a tout intérêt à voir QS disparaître. Comment peut-on s’imaginer un instant que le PQ pourrait laisser une possibilité à QS de croître alors qu’il a interdit l’existence en son sein du SPQ Libre, beaucoup moins menaçant disons le que QS. Cette formation avait été encouragée par Bernard Landry justement parce qu’elle coïncidait avec la création de Québec Solidaire et pouvait servir de frein à son élargissement. Ce n’était plus le cas sous Pauline Marois. QS ayant déjà pris son envol, le SPQ Libre devenait un embarras inutile.
Autre temps, autres stratégies, il a été utile pour le PQ dans la crise actuelle de laisser paraître une certaine ouverture à QS. Cela cautionnait l’idée que le PQ fait partie des progressistes et pouvait aider à ramener en son sein les indécis-e-s. Mais une fois cette opération terminée, oubliez les alliances. Le fait que Nicolas Girard ait été sur toutes les tribunes et au cœur des dossiers les plus importants démontre bien l’importance que le PQ met à tenter de battre Françoise David. L’annonce de l’adhésion de l’écologiste, Daniel Breton et de sa candidature dans Rosemont vient sceller la fin des illusions.
Les raccourcis politiques sont une voie dangereuse qui ne peuvent remplacer la justesse des analyses, la vision de l’avenir et la mise de l’avant de perspectives rassembleuses qui apporteront des solutions aux citoyens et citoyennes aux prises avec la détérioration de leurs conditions de vie. La lutte actuelle du mouvement étudiant pour le droit à l’éducation, la mobilisation de la coalition opposée à la privatisation et la tarification et la montée des luttes contre les fermetures d’entreprises nous indiquent la voie à suivre.
Pour réussir à donner une perspective gagnante à nos luttes, pour vaincre les politiques néolibérales de privatisation des services publics, pour lutter contre la concentration de la richesse qui atteint au Canada et au Québec un taux inégalé depuis les années 1920 (le top 1% de la population s’accapare autour de 15% du total des revenus), il faut construire une stratégie de lutte et de mobilisation qui remet en question la logique du profit et de la compétitivité des entreprises qui conduit aux délocalisations et aux fermetures. Il faut consolider un parti politique qui cimentera nos luttes et les poursuivra sur le terrain politique. Il faut donner un contenu à ce projet de souveraineté ; un Québec souverain sera un Québec de justice sociale.
C’est précisément la place qu’a commencé à prendre Québec Solidaire avec sa campagne « Pour un pays de projets », expliquer que la souveraineté du Québec est indissociablement lié à un projet de justice sociale.