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Contre le diktat du carbone

Résumé : L’écologie d’abord considérée comme une question politique qui ne se réglera pas à coups de marché carbone et d’affichage environnemental sur les produits.

Titre du livre : La dictature du carbone
Auteur : Frédéric Denhez
Éditeur : Fayard
Collection : Documents
Date de publication : 28/09/11
N° ISBN : 2213662053

Frédéric Denhez ne remet pas en cause dans La dictature du carbone la pertinence à évaluer nos émissions de carbone. Du moins, dès que l’on s’intéresse de près ou de loin à l’avenir de la planète et de l’humanité. Au contraire, il démonte dans son premier paragraphe les arguments des « climato-septiques » qui nous « montrent la petite fleur de la lisière pour que nous ne regardions plus la forêt touffue ». Pour Frédéric Denhez, c’est entendu, parmi les multiples facteurs explicatifs d’un réchauffement climatique, en l’état des connaissances, seules les émissions de carbone dues aux activités humaines peuvent expliquer la hausse des températures moyennes (environ +1°C en un siècle) actuellement constatée partout dans le monde, y compris sous les tropiques.
Voitures : le vrai-faux bilan de la prime à la casse

Car bien sûr, le carbone est à la base de toute vie sur terre, il circule entre la terre, le ciel, la mer et les êtres vivants et son accumulation excessive dans l’atmosphère sera déterminante pour l’avenir écologique de la planète. Mais sa mesure seule ne doit pas présider à nos destinées. Ce que conteste Frédéric Denhez, c’est la réduction actuelle de la société et de l’écologie à des flux et équations simplifiés, de plus en plus contrôlés par une élite technocratique. Le Bilan Carbone de l’Ademe   est certes intéressant et pédagogique. Comme l’écrit l’auteur, « sa traque permet de radiographier un système mais n’aboutit pas à sa déconstruction » voire parfois à des aberrations ou des paradoxes. C’est le cas de la prime à la casse où on encourage, aux dépens du marché de l’occasion, l’achat de voitures neuves, qui certes émettent moins que les anciennes au kilomètre parcouru. Mais leur production émet du carbone de même que le recyclage de celles qui sont mises hors-circuit. C’est l’un des exemples de ce que Frédéric Denhez appelle « l’effet rebond » : on consomme moins par unité apparemment, mais plus au global, finalement.
Viande et carbone : « feedlots » ou prairie ?

Autre paradoxe minutieusement décrit : celui de la viande, dénoncée pour ses émissions de gaz à effet de serre  , notamment au travers du méthane naturellement émis par les vaches quand elles ruminent. Il faudrait, pour faire baisser la facture carbone de l’élevage, intensifier la production. C’est-à-dire délaisser l’herbe dans l’alimentation de nos bovins alors que les prairies – on ne le sait pas forcément – stockent du carbone dans leur sol. Ne considérer que le carbone, ça revient à décerner le label « environnement » à un système industriel de production de viande type américain (les « feedlots« ) avec des animaux qui sont engraissés « hors-sol » en lots de plusieurs milliers de têtes. Le but étant de faire grossir les animaux le plus rapidement possible sur de la terre battue avec une alimentation presque exclusivement céréalière et à l’aide d’hormones de croissance. Ainsi quand on divise les impacts environnementaux par les kilos de viande produits, c’est vrai, on obtient de meilleurs résultats carbone que pour une viande produite avec de l’herbe. Mais quid du bilan environnemental global de ces élevages industriels ? Sans parler des impacts sociaux (emplois induits, conditions de travail…), sur le territoire (économie locale, paysages…) ou sur la biodiversité, la faune et la flore ?
Des indicateurs à replacer dans un système de valeurs 

« Tout est carbone donc tout se vaudrait ? » s’interroge Frédéric Denhez. Avec cet indicateur, on s’enlise dans une technicité, choisie par quelques experts, qui empêche de voir la réalité des choses : les autres aspects environnementaux mais aussi, plus globalement les facteurs sociaux et humains. De plus, il décrit aussi les limites du marché du carbone, à la fois complexe et effrayant. Un marché très spéculatif, voire frauduleux, où s’échangent des crédits carbone selon les mêmes règles que la finance. Et là encore, on est obligé de s’interroger : pour réduire le problème carbone, fallait-il confier l’affaire au marché… ?

Pour l’auteur, l’indicateur carbone est un cache-misère court-termiste qui ne remet pas en question le fonctionnement global de nos économies et modes de consommation car au fond, selon lui, « il est difficile d’être écologiquement correct dans une économie qui s’effondrerait si tout le monde l’était ». C’est encore l’exemple de la voiture : il est plus facile d’imposer aux fabricants de mettre sur le marché des voitures moins émettrices de CO2 que de repenser en profondeur l’aménagement du territoire et limiter l’étalement urbain. Mais ça comble le besoin d’afficher des résultats, car les émissions de CO2 semblent baisser… Et Frédéric Denhez établit un parallèle intéressant avec le PIB (produit Intérieur brut) en économie, largement développé et argumenté dans le livre. « Le tout-carbone, comme le tout-PIB réduit le monde à un système d’engrenages, d’échangeurs de stocks, de flux ». Une vision mécaniste de la vie qui convient bien aux ingénieurs mais qui ne reflète pas la réalité ni la complexité du monde et peut conduire à des choix contreproductifs pour l’environnement. Il s’agit de redonner une juste place à ces indicateurs : « pour que ceux-ci changent vraiment la donne, il faut qu’ils s’inscrivent d’abord dans un système de valeurs, incluant les biens communs, la morale et l’éthique ».

Quelle démocratie pour l’écologie ?

Frédéric Denhez enfonce le clou. En bombardant de « gestes verts pour la terre », d’affichage environnemental, on s’adresse au consommateur individualiste et on oublie de se concentrer sur les grands choix de société : le réaménagement des territoires, la décentralisation. Frédéric Denhez prend de la hauteur pour pointer ce qu’il lui semble important : une écologie sociale. Pour lui, il est urgent d’avoir plusieurs indicateurs environnementaux localisés, associés à des indicateurs de développement durable et de bien-être, et donc la société civile participerait à l’élaboration. »

Au travers de son livre, Frédéric Denhez fait ainsi émerger de vraies questions, même si parfois la démonstration est un peu elliptique pour des non-initiés. Le lecteur peut rester sur sa faim quant aux pistes concrètes proposées. Notamment sur les modalités d’organisation politique et en particulier sur la thématique agricole et alimentaire. C’est pour creuser cette question que nous sommes allés l’interroger. Mais soyons indulgents, reconnaissons que la question cruciale de la gouvernance « environnementale » est complexe. Elle était déjà au centre de la réflexion d’André Gorz dans les années soixante-dix (Ecologie et politique en 1975 et Ecologie et liberté en 1977). Elle était toujours un fil rouge du Grenelle de l’Environnement en 2007 et peine à être mise en œuvre de façon concrète aujourd’hui. L’enjeu n’est rien moins que de trouver la voie de « la démocratie du carbone » et même au-delà de celle de l’écologie.

 

A lire aussi : 

Dialogue sur l’agriculture : interview de Frédéric Denhez, par Caroline Guinot et Jean-Marc Beche.

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