par JACQUES FOURNIER
20 avril 2010 Article publié dans: | Délibération publique
L’auteur a présenté brièvement cette réflexion à l’occasion de l’atelier du 15 avril 2010 (tenu à l’UQAM) du Chantier pour un renouvellement de la social-démocratie
J’aimerais apporter cette réflexion qui s’inscrit, selon moi, dans la réflexion sur le renouvellement de la social-démocratie et de la question « du temps libre et de l’engagement citoyen », questions qui préoccupent les sociaux-démocrates depuis des années.
Un rapport vient de paraître sous la plume de l’ancien ministre Claude Castonguay et de Mathieu Laberge, un économiste rattaché au « réservoir d’idées » de droite, l’Institut économique de Montréal. Le rapport préconise que, pour éviter la catastrophe du vieillissement, les aînés restent plus longtemps sur le marché du travail. Le rapport est publié par le CIRANO, le Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations.
En tout respect pour l’opinion contraire, je ne partage pas cette analyse. Le Rapport Castonguay-Laberge s’inspire, selon moi, de lieux communs, il manque d’originalité et d’inspiration et il voit les choses à court terme.
La vraie catastrophe annoncée, ce n’est pas la diminution du produit intérieur brut (PIB) reliée au fait que moins de personnes seront sur le marché du travail. La vraie catastrophe annoncée, c’est le gaspillage des ressources naturelles de la terre (pétrole, forêt, eau, etc.) et leur épuisement rapide. Pour contrer cette vraie catastrophe, il faut aller progressivement vers la fin de l’hyper-consommation, la simplicité volontaire (www.simplicitevolontaire.info) et, plus globalement, vers une décroissance conviviale (www.decroissance.qc.ca). Dans les pays occidentaux riches, il faut accepter de vivre en consommant moins (et le contraire pour les pays du Sud).
Bon, je passe rapidement sur les nuances évidentes : de nombreuses personnes sont contraintes de travailler à un âge avancé parce qu’elles ont occupé toute leur vie des emplois peu payants et qu’elles ont donc été incapables de mettre des sous de côté pour leur retraite. Ce n’est pas de ces personnes dont je parle.
La course à la productivité
Je ne parle pas non plus des personnes qui font un travail agréable et qui adorent ce qu’elles font. On ne peut que les encourager à poursuivre. Cependant, on constate aujourd’hui que plusieurs de ces emplois plaisants sont en voie de disparition. Dans l’entreprise privée, la course à la productivité ─ mondialisation oblige ─ a transformé des emplois autrefois satisfaisants en sources d’épuisement. Dans le secteur public, avec l’introduction de la « nouvelle gestion publique » (NGP), inspirée de l’entreprise privée, plusieurs employés sont davantage soumis à des impératifs de production intense et de rendement maximal. Le sentiment d’être un « citron pressé » augmente chez de nombreux travailleurs. Si, au moins, le personnel était réellement consulté au sujet de l’organisation ou de la réorganisation des services, il pourrait être intéressant de demeurer au travail. Mais la mode managériale est aujourd’hui celle du retour de l’autoritarisme et des décisions prises d’en haut (après des consultations bidon, très souvent). On constate, sur le terrain, qu’il y a moins de participation réelle du personnel qu’il y a quelques années, en particulier dans le réseau de la santé et des services sociaux.
M. Castonguay aime à se présenter lui-même comme une personne toujours au travail, même s’il a atteint un âge avancé. On comprend aisément que l’ancien banquier et ex-président de compagnies d’assurance adore travailler : il fait un travail stimulant de consultant et il est bien rémunéré pour ses services. Mais pour un trop grand nombre de nos concitoyens, le travail se définit ─ hélas ! ─ plutôt bien par son origine étymologique : ce mot vient du latin tripalium, qui désigne un instrument de torture.
Mon propos aujourd’hui touche essentiellement les personnes âgées qui se sentent obligées de travailler parce que, victimes en quelque sorte de l’intoxication consumériste et du harcèlement publicitaire, elles voient leur comportement en bonne partie dicté par le dieu argent : elles croient qu’il faut beaucoup consommer pour être heureux. Et elles pensent, à tort selon moi, que la façon que leurs voisins et leur entourage les perçoivent doit être un déterminant majeur de ce qu’elles doivent posséder et faire. D’une certaine manière, elles n’ont pas vraiment atteint la sérénité et la sagesse qui leur permettraient d’accepter de vivre avec des revenus moindres, mais raisonnables. Ce sont ces personnes que les Castonguay-Laberge cherchent à culpabiliser de prendre leur retraite tôt et veulent conscrire dans l’atteinte d’un PIB toujours plus dodu.
L’engagement social
Je plaide pour que les individus prennent leur retraite pendant qu’ils sont encore en santé et qu’ils s’activement autrement, en faisant du bénévolat, de la militance ou de l’engagement citoyen. C’est ce dont notre société a besoin et c’est moins stressant que de travailler pour un patron toujours désireux d’augmenter la productivité par tous les moyens. L’engagement social permet aux aînés de combler leur besoin de se sentir utiles et de redonner un peu ce qu’ils ont reçu.
MM. Castonguay et Laberge répondront probablement : le bénévolat ne fait pas augmenter le PIB. Peut-être alors devrions-nous mettre au point davantage d’indices qui mesurent le vrai bonheur individuel et collectif (de tels indices existent, voir bonheur national brut sur Google) ?
Deux chercheurs britanniques ont démontré récemment que les sociétés où la qualité de vie est la meilleure (un niveau d’éducation plus élevé, une meilleure santé, un plus grand sentiment de sécurité, etc.) ne sont pas les sociétés les plus riches mais celles où l’écart des revenus est le moins grand entre les citoyens. Les citoyens les plus riches sont eux aussi gagnants de vivre dans une société où les écarts de revenus sont faibles (« The Spirit Level. Why More Equal Societies Almost Always Do Better », par Richard Wilkinson et Kate Pickett, Allen Lane, Londres, 2009). Nous en sommes au paradoxe suivant : il faut convaincre les très riches qu’ils seront plus heureux en étant… moins riches. Aux États-Unis, de nombreux super-riches se sentent obligés de vivre dans des ghettos clôturés pour riches, avec des gardiens partout. Ne vivraient-ils pas avec un plus grand sentiment de sécurité si la société était plus égalitaire ? Le travail est un facteur de stress bien documenté. Au Québec, 28,5 % des citoyens de 45 à 64 ans connaissent un stress intense, comparativement à seulement 9,6 % des 65 ans et plus (Statistique Canada, tableau 105-0501, Québec, 2008). Pourquoi travailler et se stresser alors qu’on peut faire du bénévolat à son rythme pour le plus grand bien de la société ? L’augmentation des heures de travail a eu un effet, au cours des dernières années, sur l’évolution du bénévolat. De 1992 à 2005, le taux de participation des Québécois à des activités de bénévolat ou d’entraide a chuté de 14,1 % à 9,2 %. L’un des facteurs qui expliquent vraisemblablement cette situation est l’augmentation du nombre moyen d’heures hebdomadaires de travail et la croissance des « bourreaux de travail » (10 heures et plus de travail par jour) (Annuaire du Québec 2919, p.383).
Un argument du Rapport Castonguay-Laberge m’irrite particulièrement : selon eux, il faut faire comme l’Ontario ! En 2008, 51 % des Ontariens de 60-64 ans travaillaient, comparativement à seulement 40 % des Québécois du même âge. Pourquoi n’incitent-ils pas plutôt les Ontariens à faire comme les Québécois ? Qui est à l’avant-garde de la recherche d’un vrai mieux-être collectif ?
par Jacques Fournier
rédacteur en chef
La Force de l’âge
(Association québécoise de défense des droits des retraités – AQDR)ie