Aurélie Trouvé, participante à l’édition 2021 de la Grande Transition, porte-parole d’Attac, explique ici les potentialités de la convergence des mouvements et des partis de gauche en France.
Aurélie Trouvé est chercheuse et porte-parole de l’association Attac, qui fait partie du collectif Plus jamais ça, créé début 2020. Le collectif rassemble des syndicats, des associations écologistes et des organisations de solidarité.
Propos recueillis par Gaspard d’Allens, Reporterres, 10mai 2021
Reporterre — Pourquoi avez-vous manifesté hier, à Paris, pour le climat ?
Aurélie Trouvé — Avec le collectif Plus jamais ça et des centaines d’autres organisations, nous voulions dénoncer la faiblesse de la loi Climat et le fait qu’elle ait été vidée de toute ambition écologique. En réalité, seules 10 % des propositions de la Convention citoyenne ont été reprises par Emmanuel Macron. Dans le texte de loi, aucune mesure concrète ne s’attaque au défi climatique ou aux intérêts des multinationales polluantes. Le gouvernement continue sa politique en faveur des plus riches et sert son électorat de droite à un an de la présidentielle. Il est complètement irresponsable d’un point de vue écologique et cette manifestation avait pour but de le faire apparaître clairement.
Plusieurs syndicats de travailleurs ont rejoint l’appel à manifester, est-ce inédit ?
En effet, la FSU, la Confédération paysanne, Solidaires et la CGT étaient présents dans le cortège. Depuis la révolte des Gilets jaunes, l’urgence écologique et l’urgence sociale ne s’opposent plus. On sait qu’il faut s’attaquer aux deux, dans un même élan. Au sein du collectif Plus jamais ça, on promeut la création de millions d’emplois dans la transition écologique et dans les services publics. On défend cette idée dans la rue, ensemble. On vient d’ailleurs de remporter une victoire symbolique en faveur de l’usine de papier recyclé de la Chapelle Darblay. La semaine dernière, avec les syndicats, on a occupé Bercy pendant une journée jusqu’à ce que le gouvernement s’engage à ne pas laisser cette entreprise fermer. Le coup de pression a fait avancer la situation. Quand on arrive à s’allier sur des sujets concrets, les organisations environnementales et les syndicats peuvent remporter de grandes batailles.
- « Être dans la rue et occuper l’espace public comptent énormément dans le rapport de force », estime Aurélie Trouvé.
On a aussi parfois l’impression que le gouvernement s’en contrefiche. Hier Le Journal du dimanche affirmait qu’Emmanuel Macron renonçait à l’idée d’un référendum sur le climat alors que 115 000 personnes manifestaient dans la rue au même moment. À quoi sert-il encore de manifester ?
Le problème est que si on ne fait rien, on ne risque pas non plus d’avancer. Être dans la rue et occuper l’espace public comptent énormément dans le rapport de force. On l’a vu au moment des Gilets jaunes. Alors, ces marches pour le climat, évidemment, ne sont pas l’alpha et l’oméga, mais elles représentent des points de rencontre, des moments de conjonction entre les luttes. Elles mêlent une diversité de collectifs, des grandes organisations et des luttes plus locales contre la bétonisation ou les grands projets inutiles. Hier, étaient présents par exemple à Paris, les militants contre l’urbanisation du triangle de Gonesse. C’est important. On a besoin de se retrouver et de se compter. Plus il y a de monde dans la rue, plus ça peut faire frémir le gouvernement et plus ça peut peser dans les débats et les projets politiques.
Il ne vous aura pas échappé que des élections très importantes auront lieu dans un an. Avec le collectif Plus jamais ça, nous voulons montrer qu’on peut former un arc de force large avec des propositions radicales, écologiques et sociales. Aujourd’hui, il existe des mouvements sociaux avec de la vitalité mais la gauche et l’écologie restent faibles dans les urnes. Pour l’instant, elles ne représentent que trop peu l’espoir de conquérir le pouvoir et de transformer la société.
Cette défaillance de la gauche et des écologistes est-elle le principal problème aujourd’hui ?
Disons que dans le champ associatif et militant, les choses bougent. On innove dans nos façons de lutter, de se parler, de se rassembler. On a su dépasser des différences de cultures. On a créé du collectif. On a pu l’observer contre la réforme des retraites, sur le climat, ou lors de la marche pour la liberté — et clairement, oui, cela tranche avec la difficulté de se rassembler sur des bases radicales dans le camp de la gauche et de l’écologie électorales. Je crois que la société civile est en avance par rapport au politique.
Un des objectifs du collectif « Plus jamais ça » est de peser sur le champ électoral avec le poids de nos idées. Nous voulons mettre en avant un projet anti-productiviste et anti-néolibéral. Notre projet se veut radical au sens où il vient critiquer les racines du système. Malgré notre diversité, on avance ensemble en s’appuyant sur des groupes locaux et sur leurs luttes.
- « Pour nous, dit Aurélie Trouvé, la dette Covid doit être payée par une contribution exceptionnelle des plus riches et des multinationales. »
Cette alliance est essentielle et je crois personnellement qu’il va falloir la pousser encore plus loin, et converger aussi avec les milieux antiracistes, le mouvement féministe et ceux qui défendent une nouvelle approche de la démocratie. L’extrême-droite est aux portes du pouvoir avec Marine Le Pen. Le danger est imminent. Il va falloir réfléchir à des grandes mobilisations pour bloquer son avancée et affirmer que nous avons des projets de société alternatifs à l’extrême droite du RN et à la droite des riches d’Emmanuel Macron.
À quoi ressemblerait ce projet de société alternatif ?
Il repose sur trois idées phares : « une planète vivable pour demain », « un emploi digne pour tous », « une démocratie et une égalité réelles ». La valeur cardinale qui nous réunit est la justice, qu’elle soit environnementale, fiscale, sociale ou contre l’impunité policière dans les quartiers. Concrètement, on appelle à créer des millions d’emplois dans la transition et à mieux répartir le temps de travail avec la semaine de 32 heures. On souhaite lancer un plan d’investissement public très important et conditionner tout euro public versé aux entreprises à des contreparties écologiques et sociales. On veut mettre en place une révolution fiscale. Pour nous, la dette Covid doit être payée par une contribution exceptionnelle des plus riches et des multinationales. À très court terme, on se mobilise aussi pour exiger le renforcement de la protection sociale pour les plus précaires, l’abandon de la loi sur l’assurance chômage et la mise en place d’un RSA jeune.