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Comment le suprémacisme blanc a entrepris de détruire Haïti

James Darbouze [1], 24 juin 2021

« Rele Loumandja, kolon yo pran peyi a !« 

On prête à l’écrivain français Joseph de Maistre (1753-1821) l’énoncé voulant qu’un peuple ou une nation ait le gouvernement qu’ils méritent. En effet, affirme-t-il : « Toute nation a le gouvernement qu’elle mérite. » Cet axiome du XVIIIème siècle que certains voudraient appliquer à tout peuple, toute époque et tout pays, trouve ses limites lorsqu’il s’agit d’Haïti. Peut-être qu’il s’agit là de l’exception qui confirme la règle, mais il s’applique difficilement au contexte haïtien. Loin d’avoir les gouvernements qu’il mérite[2], le peuple haïtien a généralement les dirigeants que la « communauté internationale[3] », entendez par là les nations blanches occidentales, décide de lui imposer. Et toutes les décisions qui ont fait régresser la société haïtienne ont été prises et mises en application par des dirigeants mis en place par – et au profit de – cette communauté internationale.

On pourrait épiloguer longtemps sur les implications d’un tel énoncé et certain-e-s auront vite fait de rappeler la responsabilité des élites locales, notamment du « désir d’Occident[4]» caractéristique des élites haïtiennes depuis le XIXème siècle. Certes, la quête de blanchitude voire leur « bleached nan mind » vaut son pesant d’or. Cependant, faut-il se rappeler qu’Haïti, depuis son indépendance en 1804, a toujours été menacé. Et cela n’est pas une fiction ou une vue de l’esprit.

Faisons une rapide précision autour de la notion de communauté internationale que nous employons ici. Elle désigne principalement les États-Unis et leurs alliés occidentaux qui ont fait en 2004 par exemple, la guerre du Kosovo, la guerre en Irak, la guerre en Libye… Il s’agit d’un groupe d’intérêt géopolitique pour lequel la loi et le droit international n’existent pas. Pour ce groupe, tout est question de domination et d’appropriation des ressources pour le bénéfice exclusif de quelques uns. Il ne reconnaît pas la soi-disant charte des Nations Unies et son seul objectif est de redéfinir dans le propre intérêt de ces membres et à eux seuls les « règles du jeu international »… Dans le cas haïtien, le fait qu’à la tête du BINUH (Bureau intégré des Nations Unies en Haïti) se trouve, depuis 2018, une diplomate américaine – rentrée aux affaires en 1982 sous Ronald Reagan – n’est pas sans relations avec l’état de pourrissement de la situation.

S’il est vrai que les dirigeants politiques qui arrivent au pouvoir sont souvent mal intentionnés et motivés par le profit personnel, il n’empêche qu’ils sont souvent portés par une dynamique, en soubassement de laquelle on retrouve l’intérêt des agents étrangers notamment suprémacistes blancs. Et cela explique sans aucun doute l’état de délabrement dans lequel le pays se trouve actuellement.

Qu’est-ce que le suprémacisme blanc ? Le suprémacisme fait écho à la suprématie, la supériorité de puissance. En conséquence, il qualifie cette idéologie qui considère qu’une catégorie de personnes (les blancs en général) est supérieure aux autres et qu’elle peut asservir les gens qu’elle domine. Il s’agit d’une idéologie raciste, fondée sur l’idée de la supériorité de ceux parmi les humains dont la peau est perçue comme blanche par les autres ou par eux-mêmes par rapport aux autres humains[5]. Elle a pris naissance avec l’esclavage alors que le thème de la hiérarchisation des races évoluait. La notion de « suprématie blanche » est enracinée dans l’ethnocentrisme occidental et son désir d’hégémonie. Elle conduit fréquemment à des agressions systémiques et des violences contre les sociétés et les individus considérés comme « non blancs ». Dans ce dispositif, la couleur de la peau est un facteur déterminant.

Aussi, de la même manière que c’est dans l’économie politique qu’il convient de chercher l’anatomie de la société civile, c’est toujours dans le dispositif impérial des relations internationales de domination et de dépendance, soit dans l’idéologie suprémaciste blanche, qu’il faut chercher les causes de la destruction actuelle d’Haïti. Dessalines était l’un des rares à avoir compris les enjeux de ce dispositif. Dans le rapport d’Haïti avec la communauté internationale, tout ce qui se passe a un rapport avec le colonialisme, l’indépendance, l’héritage de l’esclavage, avec la division de la population selon un mode ségrégué. Il faut toujours considérer cette profondeur historique car la page n’a jamais été vraiment tournée. Dans cette perspective paranoïaque, les Haïtiens sont considérés comme menace constante par rapport à l’ordre occidental du monde. Il faut dès lors poser sans ambages la question des intérêts du blanc en Haïti sous l’angle de la problématique impériale des deux consciences théoriques et pratiques haïtiennes (fausse conscience, pour soi et en soi). Autrement, on risque fort de passer à côté des enjeux essentiels et véritables du moment actuel. En quels sens le suprémacisme blanc contribue-t-il à au processus actuel de destruction d’Haïti ?

Brefs éléments d’histoire immédiate

Le 12 janvier 2010, un séisme de magnitude 7.0 a sévèrement endommagé Haïti. Cristallisant la détresse du pays, il a tué plus de 200 000 personnes et laissé 1,5 million de sans-abri. Pourtant, la pire des catastrophes ayant touché Haïti, loin devant le tremblement de terre – avec les conséquences désastreuses que l’on sait – est la prise de contrôle de l’appareil d’Etat par la nébuleuse mafieuse appelée les bandits légaux avec l’appui de la communauté internationale, les Etats-Unis, le Canada, l’Union Européenne, l’OEA et l’ONU notamment.

Cette nébuleuse qui rassemble les néo-duvaliéristes, les criminels et maffieux de tout acabit sous le label du PHTK[6] est au pouvoir en Haïti depuis 2011. Onze années après le tremblement de terre, la situation de la population est pire qu’au lendemain du 12 janvier 2010. Tous les indicateurs sont au rouge sang et le pays a été transformé en une République de bandits. Sur fond de pandémie, on assiste à une décomposition exacerbée de forces productives ainsi qu’à une misère sans précédent des masses populaires haïtiennes. Deux tiers des Haïtiens vivent dans la pauvreté et l’insécurité alimentaire touche près de la moitié de la population (BID, 2020)[7].

Parallèlement, en raison d’une crise politique sans précédent, le pays est actuellement en danger d’implosion, le dispositif de survie de toute une population est menacé. La population vit dans une situation d’anxiété constante pendant que les bandits pavanent au grand jour, des proches du pouvoir accusés de graves violations des droits humains défilent au carnaval[8] et des habitudes de violence et d’irrespect des règles de droit sont intégrées par une partie de plus en plus significative de la population.

La terreur, installée comme mode de gouvernement depuis 2018 et consolidée en janvier 2020, a pris des proportions inouïes à partir de la première semaine de juin 2021. Des pans entiers de la capitale et des zones avoisinantes sont tombées sous contrôle total des gangs armés qui imposent un climat de terreur. Des portions entières du pays sont sous contrôle de milices à la solde du régime. En parallèle à l’activité des milices armées du gouvernement, des tentatives sont faites constamment pour supprimer en fait les garanties de liberté comme celle de circuler librement, celle d’informer ou celle de protester pacifiquement. De larges groupes de populations sont privés d’exercer leurs droits fondamentaux.

En pleine recrudescence de la pandémie, dans la troisième circonscription de Port-au-Prince, à Delmas, à Laboule des gangs chassent des familles de leurs maisons. Les affrontements sanglants entre gangs armés proches du pouvoir poussent des résidents à abandonner leurs zones. Cette situation de détresse et de déplacements forcés concerne des dizaines de milliers de personnes qui ont dû fuir les zones d’affrontements, selon les évaluations des agences spécialisées dans l’aide humanitaire. Et profitant de la fuite des résidents, les membres des milices armées pro-pouvoir pillent, incendient et détruisent les maisons. Tout cela se passe sous le monitoring amusé de la représentante spéciale du Secrétaire Général des Nations Unies. C’est cela la démocratie made for Haiti.

A la sortie sud de Port-au-Prince, le point de ralliement des déplacé-e-s forcé-e-s est un Centre Sportif à Carrefour où l’on trouve des pères et mères de famille accompagnés de bébés ou d’enfants en bas âge[9]. A Delmas, des centaines de personnes se sont réfugiées à l’église Saint Yves. L’Unicef a « alerté » le 14 juin que cette nouvelle vague de violence a forcé près de 8 500 femmes et enfants à fuir leur foyer en seulement deux semaines. Depuis le début de l’année, l’escalade de la violence et des actes criminels a provoqué le déplacement de plus de seize mille personnes des quartiers métropolitains de Port-au-Prince, de bas Delmas, de Bel-Air, de Martissant, de Tabarre-Issa et de Toussaint Brave. Selon le bureau de l’ONU chargé de la coordination humanitaire (UNOCHA), 650 000 personnes sont actuellement affectées par le déplacement en Haïti, dont 500 000 dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince.

Pour avoir la juste mesure du caractère chaotique de cette situation, il faut croiser le pic actuel de violence avec la recrudescence des cas de COVID-19. En effet, les cas de Covid-19 augmentent avec un taux de positivité et une létalité inquiétants. Du 1er avril au 5 juin 2021, les cas confirmés sont passés de 12 840 à 16 079, avec un taux de létalité allant de 1,95 % à 2,15 %. Pour la même période, le pays a enregistré plus de 27% des 346 décès depuis le début de la pandémie l’année dernière. Les cas n’ont jamais été aussi élevés depuis le début de la pandémie en 2019. Et alors que les infrastructures sanitaires – déjà insuffisantes – sont submergées par la nouvelle vague de Covid-19, les plaies par balle alourdissent la situation intenable des hôpitaux. Quel rapport cette situation chaotique entretient-elle avec le suprémacisme blanc ?

Appropriation d’Haïti : la leçon des Clinton

Les Clinton (Bill et Hilary) ont joué un rôle majeur en Haïti après le tremblement de terre dévastateur de janvier 2010. Notamment, l’ancien président américain Bill Clinton avait plusieurs rôles. Il était à la fois l’envoyé spécial des Nations Unies en Haïti, co-dirigeant du Clinton-Bush Haiti Fund (avec l’ancien président George W. Bush) et co-président de la Commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti (CIRH). Bill Clinton est un habitué d’Haïti. Après le deuxième renversement d’Aristide en février 2004, Clinton a travaillé avec l’ancien employé de la Banque mondiale Paul Collier, des sociétés multinationales et l’élite haïtienne pour imposer un plan de libre marché à Haïti. En 2009, ils ont effectué une tournée dans le pays pour promouvoir les ateliers de misère (sweatshops), le tourisme ainsi qu’une agriculture orientée vers l’exportation[10].

Depuis la publication, en 2008, du livre de Naomi Klein, La stratégie du choc. La montée d’un capitalisme du désastre[11], on sait au moins « par hypothèse » que les catastrophes naturelles ou humaines sont l’occasion pour les tenants du néolibéralisme de faire avancer leur agenda. Pour ceux-là, la question est de savoir comment briser les résistances de peuples entiers à la cure « nécessaire » qui doit être imposée aux économies des pays capitalistes. Pour Klein, la stratégie du choc est celle d’un processus volontaire de « privatisation radicale des guerres et des catastrophes ». De l’exploitation résolue de circonstances fortuites surgit l’occasion de faire passer en force des plans jusque-là retardés. Klein rappelle qu’à partir des années 1970, chaque crise ou catastrophe a été une occasion pour avancer les éléments d’un programme « libéral ».

Pour Klein (2008), ce n’est pas un hasard si à la Nouvelle-Orléans, à la suite des inondations occasionnées par l’ouragan Katrina en août 2005, beaucoup d’habitants noirs et pauvres ont été chassés de la ville, et la plupart des écoles publiques ont été remplacés par des charter schools (établissements financés par les fonds publics et gérés par le privé). De telles décisions sont guidées par les conceptions des intégristes du marché pour qui les réformes ultralibérales ne s’imposent qu’à la faveur d’un choc violent. L’ultralibéralisme mettant sciemment à contribution crises et désastres pour substituer aux valeurs démocratiques, auxquelles les sociétés aspirent, la seule loi du marché et la barbarie de la spéculation.

Après le tremblement de terre, M. Clinton est devenu coprésident de la Commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti (CIRH)[12]. À ce titre, il était appelé à prendre le leadership dans la coordination des efforts d’assistance internationale, depuis la phase d’urgence jusqu’à celle de la reconstruction. Voici ce qu’écrit à ce sujet un observateur avisé :

Le gouvernement d’Haïti, qui était déjà faible et inefficace, a maintenant cédé sa souveraineté à « l’international ». Directement après le séisme, la Commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti (IHRC) a supplanté le gouvernement haïtien. Cet organisme supranational civil a été créé par le ministère des Affaires étrangères états-unien, sous la direction de Cheryl Mills, la conseillère et chef de cabinet de Hillary Clinton, qui était alors ministre des Affaires étrangères.[13]

Et alors que les nouvelles donnes[14] avaient changé du tout au tout la situation, le plan de reconstruction de M. Clinton pour Haïti sera le même plan de marché libre qu’il n’avait cessé de vanter depuis 2004. C’est dans l’optique de la mise en œuvre de ce plan que les Clinton ont porté au pouvoir Michel Joseph Martelly en 2011. Ensemble, ils vont enclencher le processus de mise en vente d’Haïti au capital multinational selon la formule consacrée de l’Haiti open for business. En exemple, Tony Rodham, le frère cadet d’Hillary Clinton, avait des liens avec le projet minier VCS Mining en Haïti qui a obtenu en 2012 deux permis d’exploitation d’or du gouvernement haïtien à morne Bossa, dans le Nord-Est[15]. Ces permis ont été les premiers délivrés en cinquante (50) ans. C’est à ce stade que nous sommes actuellement.

Les problèmes ont changé mais les recettes de Bill Clinton sont restées les mêmes: l’affaiblissement de l’Etat face à l’oligarchie privée, l’expansion du capitalisme néolibéral et l’inclusion dans le dispositif consommateur existant. Il s’est révélé incapable de penser dans d’autres catégories que celle du capitalisme néolibéral mondialisé. A suivre son histoire personnelle et son parcours, M. Clinton apparait pourtant quelqu’un de très intelligent. Que s’est-il donc passé pour qu’il fasse preuve de cette très grande pauvreté de pensée? Et si M. Clinton, ayant grandi dans l’Arkansas, un état du Sud des Etats-Unis, avait baigné dans cette idéologie qui considère toutes les populations non blanches comme subalternes ou invisibles dans leur propre pays et qu’il voulait faire faire de l’argent à ses amis.

Et pour cause, malgré son échec pitoyable non seulement M. Clinton restera en place jusqu’au bout, voire il sera décoré par les dirigeants Tèt Kale. Comment cela a-t-il été possible ? Parce qu’on a fait intégrer aux dirigeant-e-s haïtien-ne-s que le blanc en tant que symbole de la puissance occidentale a toujours raison. Dans la hiérarchie des « supériorités », la parole du blanc vient immédiatement après celle de Dieu[16]. Fût-il le pire ignorant, dès lors qu’il a la bonne couleur de peau, il est sensé savoir mieux que nous, notre situation ainsi que ce qui est bon pour nous[17]. Alors même que ce jeu de couleurs cache des jeux d’intérêt.

A tort ou à raison, beaucoup de gens parlent de l’ancien président étasunien Bill Clinton comme l’un des acteurs majeurs du foncier dans l’après-séisme en Haïti. A titre personnel ou pour le compte de sa fondation, il aura fait l’acquisition de grandes quantités de terrains partout à travers le pays, dans le Sud-Est, le Centre, le Nord, l’Ouest[18] etc… Par ailleurs, l’Agence d’Aide pour le Développement US intervient dans le domaine du foncier. Haïti fait partie des vingt trois (23) pays où depuis l’année 2012, le Gouvernement étasunien, dans le cadre du programme Land and Global Development Agenda, investit $ 215 millions de dollars dans des programmes de sécurisation foncière notamment pour les femmes.

Cadre pour comprendre la conjoncture

Il n’est un secret pour personne que depuis le 7 février 2021, le régime de Jovenel Moise se maintient par la force des armes et un consensus international. La police nationale d’Haïti et les milices privées, ce sont ces multiples corps de répression qui, tout en supportant l’actuelle équipe au pouvoir, participent à l’instauration d’un désastre humanitaire national. Avec le support de la communauté internationale, M. Moise a installé un état d’exception, une situation intolérable pour la population haïtienne mais, au service de l’entreprise impériale de longue date. Sous diktat du BINUH, M. Moise et son bloc au pouvoir tentent de changer la Constitution haïtienne de 1987 dans une direction radicalement différente de celle entamée par la transition démocratique depuis 1986[19]. Il bénéficie de la bénédiction de la communauté Internationale pour freiner l’aventure démocratique haïtienne (1986-2010). Pour appliquer cette besogne, l’actuel gouvernement de facto a opté pour des méthodes de terreur n’ayant rien à envier à Duvalier lui-même ainsi qu’au régime sud-africain d’apartheid. Dans leur projet d’installation d’une nouvelle dictature soit disant parce que la démocratie coute trop chère et qu’elle ne saurait convenir à un peuple surnuméraire[20], les gangs sont les nouveaux tontons macoutes[21].

Et, prisonnier de sa subjectivité, de son point de vue étriqué et des intérêts de la communauté internationale blanche, M. Moise est incapable de trans-subjectivation, incapable d’arrachement aux intérêts propres de sa subjectivité. En bon obscurantiste, il se réfugie dans sa propre ignorance. Profitant du climat délétère de terreur qu’il a créé, il a démantelé toutes les institutions haïtiennes en s’attaquant aux conquêtes démocratiques formelles défendues par les sociétés civiles et par une certaine frange de la classe politique. De concert avec les experts internationaux du BINUH et de l’OEA, il a forcé le pays à sortir du processus de construction de l’Etat de droit et de la démocratie – enclenché en 1986 – pour revenir au régime dictatorial de la force brutale comme à l’époque des Duvalier. A ce propos, le BINUH, à travers le PNUD, dispose de trente trois (33) millions de dollars des Etats-Unis tirés des fonds de l’Etat haïtien pour l’organisation d’un référendum illégal, inconstitutionnel et illégitime. Nul ne sait quand il y a eu un appel d’offres pour l’acquisition de ses services.

Il devient de plus en plus clair que le projet porté par la communauté internationale – et que l’actuelle équipe au pouvoir s’efforce de matérialiser – est celui de faire sombrer le pays dans une dictature fasciste. Depuis dix ans, leur stratégie consiste à contrecarrer les avancées du projet démocratique de souveraineté nationale et de participation populaire contenu dans la Constitution de 1987. A considérer la philosophie de cette équipe, la population haïtienne n’a rien à dire dans le mécanisme de prise de décisions. Est-ce pourquoi une fois au pouvoir, leur démarche consiste à remplacer les élus par des agents intérimaires, sans légitimité, irresponsables devant la population. C’est cela la démocratie made for Haiti.  

Que l’on ne s’y méprenne pas, ce dispositif chaotique, loin d’être le fruit du hasard, résulte d’une stratégie politique sciemment élaborée par des experts internationaux. Et les membres de l’actuel régime PHTK à la solde de l’international sont en train d’en assurer la mise en œuvre. M. Jovenel Moise a la hantise d’être un jour poursuivi par la justice et jeté en prison pour ses nombreux actes d’exactions, de criminalité, d’abus de pouvoir et de participation au détournement de fonds publics. Ils sont en train de dépolitiser la crise politique permanente créée par l’accaparement de la volonté populaire, la dilapidation des fonds Petrocaribe, la perpétuation de massacres et crimes de masses. Ils opèrent une transformation de celle-ci d’une crise politique en une crise humanitaire avec l’espoir d’y tirer sinon des gains politiques immédiats tout au moins une amnistie permettant de prolonger le régime d’impunité pour les crimes financiers et les divers massacres commis. Comme qui dirait, kole ou pran, pa kole ou pran !!!

Pour une démarche de réduction à l’excès de la complexité du contexte historique que vivons actuellement, les agents de l’international en Haïti sont déjà en train d’orienter l’opinion publique en ce sens là. Toute explication qui fait appel aux situations sociales délétères générées par les politiques d’exclusion de la communauté internationale est évacuée pour rester en deca du niveau du symbole. Dans un communiqué publié le 6 juin 2021, les Nations Unies affirment « être préoccupées par l’impact de la recrudescence des actes de violence sur les populations civiles ». Ces affrontements violents entre « gangs rivaux » de la zone métropolitaine de Port-au-Prince, disent-ils, se font de plus en plus fréquents tandis que le pays fait également face à une forte résurgence de la COVID-19. Le communiqué conclut que la communauté humanitaire est “entièrement mobilisée pour appuyer les autorités nationales et municipales, dans la provision d’une assistance immédiate à ces populations et l’élaboration de solutions de relocalisation lorsque cela sera nécessaire et possible.

Comme toujours, le caractère principal de ces types de communiqué c’est la passion du semblant mais, le maitre mot qu’il convient de retenir de ce message c’est que « la communauté humanitaire est pleinement mobilisée pour soutenir les autorités nationales et municipales ». Derrière la notion de « communauté humanitaire » se cachent le BINUH, l’UNOPS, le PNUD, l’OEA, l’USAID etc… les mêmes opérateurs qui, depuis dix ans, accompagnent la destruction de toutes les institutions nationales haïtiennes. Les mêmes qui ont accompagné activement l’érosion accélérée de l’État de droit en Haïti. La notion d’«autorités nationales» renvoie principalement à Jovenel Moise, autorité de facto, restée au pouvoir manu militari depuis février 2021 avec l’adhésion de cette même communauté, au grand dam de la Constitution haïtienne. Et les «autorités municipales» couvrent les agents intérimaires anciens membres du FRAPH, du PHTK mis en poste par Jovenel Moïse après qu’il ait reporté indéfiniment les élections législatives et municipales dans le seul but de rester en fonction un an au-delà du terme de son mandat. En gros, le message est clair : « l’ONU renforce le pouvoir de Jovenel Moise et de tous les gangs affiliés au PHTK pour maintenir la situation en l’état ».

Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que l’humanitaire est là pour répondre aux situations d’urgence. Elle ne vise jamais à mettre des structures pérennes afin d’éviter la répétition ou le retour des problèmes. La limite de la phase d’aide humanitaire est de trois (3) mois. Passée cette phase, il faut aller vers le relèvement. Un des problèmes avec la stratégie haïtienne, c’est que pour avoir les coudées franches et agir sans avoir de compte à rendre, cette « communauté internationale » s’efforce de maintenir le pays constamment dans l’humanitaire depuis 2004.

Toutes choses concourent au bien des … 

L’idéologie suprémaciste blanc est une idéologie mortifère qui appauvrit et détruit le monde. A l’aube du capitalisme naissant, elle a transformé en désert des territoires fertiles, des lieux idylliques de vie pour des populations pacifiques rien que pour pouvoir exploiter leurs ressources. Elle a servi de justification pour un re-brassage du monde à travers les déplacements forcés de populations, les expropriations/dépossessions et les assassinats et destructions massifs. Le cinéaste haïtien Raoul Peck, dans son dernier film Exterminates all the brutes, expose l’aporie de cette idéologie mortifère qui ne pense que par la domination, l’exploitation et l’oppression. Depuis 1492, la population haïtienne fait les frais de cette idéologie. Elle a toujours résisté et résiste aujourd’hui encore mais au prix de combien de vies?

Comme toute idéologie, elle se reproduit certainement par les principaux bénéficiaires mais aussi par les intermédiaires, à qui l’on fait croire qu’en épousant la cause des maîtres du monde, en se mettant à leur service, ils/elles peuvent trouver leur compte ainsi qu’un ersatz de « bonheur ». Ceux-là, de concert avec la communauté internationale suprématiste blanche, sont actuellement en train de détruire Haïti.

Dans divers quartiers, la population est aux abois. Lorsque tous les dés auront été jetés, un peu comme pour Emmanuel « Toto » Constant dirigeant du groupuscule fasciste FRAPH à l’époque du coup d’état militaire de 1991-1994, on va finir par apprendre que le patron des gangs était sous payroll de la CIA. Et la communauté internationale va envoyer une force d’intervention sous couvert des Nations Unies pour exfiltrer les agents.

 

[1] Philosophe, sociologue, enseignant-chercheur indépendant et militant Haïtien. Il est chargé de recherche au Centre Equi, une structure indépendante de recherche sociale et alternative. Il milite au sein du Groupe de Réflexion-FPSPA, un think tank progressiste haïtien.

[2] Sauf à de rares exceptions où il a pu avoir l’occasion réelle de choisir.

[3] Dans « L’impérialisme, stade suprême du capitalisme » (1916), Lénine définit l’impérialisme comme « une immense accumulation de capital-argent dans un petit nombre de pays». Or, depuis les Temps Modernes (1492-1792), il se trouve que ce petit nombre de pays partage globalement les mêmes caractéristiques. Ils sont indo-européen et racialiste.

[4] Leur bovarysme

[5] Abbé Grégoire, « De la noblesse de la peau, ou du préjugé des blancs contre la couleur des Africains et celle des descendants noirs et sang-mêlés (1826) ». Voici ce qu’affirme l’historienne Françoise Coste à propos de l’invention du suprémacisme blanc : « Le système esclavagiste était tellement terrible et barbare que les maîtres et les autorités politiques se sont très vite rendu compte qu’il s’agissait d’un système injustifiable, mais qu’il fallait justifier puisqu’il fallait le pérenniser pour des raisons économiques. L’outil qu’on a inventé pour justifier l’injustifiable – surtout quand on se voulait chrétiens et fervents adeptes de la Bible, avec tous les hommes qui sont faits à l’image de Dieu – c’est la suprématie blanche. Pas dans ces termes à l’époque, mais l’idée que ces Noirs, ces Africains, méritaient d’être esclaves, qu’il ne fallait pas culpabiliser parce qu’ils étaient inférieurs, ce n’était pas vraiment des humains comme nous, les Blancs. Et ça, ça a été psychologiquement très fort parce que ça acquis à la cause esclavagiste les « petits Blancs« , c’est à dire les Blancs qui n’étaient pas assez riches pour posséder des esclaves. C’est parce qu’on a l’espoir qu’on deviendra esclavagiste soi même – même si c’est une illusion – et surtout que, nous n’avons pas besoin d’argent, nous n’avons pas besoin d’être riche, parce qu’on a notre peau blanche. »

[6] Le Parti Haïtien Tèt Kale (PHTK) a été créé en 2012 par Michel Joseph Martelly. Il a été littéralement placé au pouvoir par la communauté internationale en 2011 sur la plateforme Repons Peyizan. C’est sous le label PHTK que M. Moise a été aux élections de 2015.

[7] Cf. « Estimation et prévision de la pauvreté et des inégalités de revenus en Haïti en utilisant l’imagerie satellite et les données du téléphone mobile », Neeti Pokhriyal, Omar Zambrano, Jennifer Linares, Hugo Hernández, Monographie de la BID, 2020. Les auteurs écrivent : « Finalement, l’insécurité alimentaire est généralisée en Haïti. Selon le PAM, un haïtien sur trois souffrait d’insécurité alimentaire aigüe avant que la COVID-19 devienne une pandémie; ceci équivaut à 3.7 millions d’Haïtiens. Cela a été en particulier le cas dans la région du bas Nord-Ouest du pays et dans la commune urbaine de Cité Soleil. Des perturbations dans la chaîne alimentaire à cause de la pandémie mondiale, associées à un conflit violent, l’inflation et la dépréciation de la monnaie enregistrées au cours de l’année dernière, pourraient augmenter la gravité de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition dans les prochains mois. » Plus bas, ils précisent : « Haïti est le dixième pays avec le nombre le plus élevé de personnes vivant en crise d’insécurité alimentaire ou pire après le Yémen, la République Démocratique du Congo, l’Afghanistan, le Venezuela, l’Éthiopie, le Sud du Soudan, la Syrie, le Soudan, et le Nord du Nigeria. » p. 11.

[8] En juin 2020, à l’instigation de la Commission Nationale de Démobilisation, Désarmement et Réinsertion (CNDDR), les principaux gangs armés de la région métropolitaine ont créé la fédération G9 an fanmi e alye (en famille et en alliés, en créole). Elle est dirigée par Jimmy Cherizier, Barbecue, un ancien policier mis à pied par l’institution pour graves violations des droits humains.

[9] Plusieurs centaines de personnes ont dû se réfugier également à la place de Fontamara

[10] Robert Fatton Jr, “Haïti : la politique d’industrialisation par invitation”, Cahiers des Amériques latines, 75 | 2014, 41-58.

[11] KLEIN, N. (2008). La stratégie du choc. La montée d’un capitalisme du désastre, Toronto: Léméac/Actes Sud.

[12] Cette Commission n’était responsable devant aucun organe représentatif haïtien. Toutes les décisions prises par elle étaient « considérées comme confirmées » si le président haïtien n’utilisait pas son veto pendant les dix jours ouvrables après notification formelle. Et comme l’analye Lundahl (2013), le pays était donc soumis  à « l’international ».

[13] Robert Fatton Jr, idem, p. 41.

[14] Cf. PDNA, Gouvernement de la République d’Haïti, Mars 2010.

[15] Peter Schweizer, “Clinton Cash: The Untold Story of How and Why Foreign Governments and Businesses Helped Make Bill and Hillary Rich”. Cf. également Ericq Pierre, Bill Clinton et nous, Alterpresse, 29 décembre 2011.

[16] Un dicton « haïtien » voudrait qu’après Bondye se blan !

[17] On connait à ce propos la blague de celui qu’un blanc déclare mort alors qu’il est vivant mais que l’on emmène tout de même à la morgue en dépit de ses protestations sur la base que la parole du blanc est incontestable.

[18] Bourjolly (2020) rappelle que la question foncière a été l’un des premiers points de conflit entre l’équipe Clinton et le Président René G. Préval. La version initiale du MoU préparée par le cabinet d’avocats travaillant pour le compte de la Fondation Clinton voulait donner les pleins pouvoirs à M. Clinton pour disposer des terrains haïtiens – prives et publics. Cette stipulation sera enlevée de la version finale par René G. Préval lui-même. En plus de l’accord Petrocaribe signé avec le Venezuela dans le cadre de l’ALBA, ces éléments vont peser lourds contre lui et son dauphin lors des élections présidentielles de 2010-2011. Cf. BOURJOLLY, J.-M. (2020). Haïti : un pays à désenvelopper : des ratés de la commission chargée de coordonner l’aide post-séisme aux convulsions d’une reconstruction politique et institutionnelle infructueuse, Les éditions JFD, Montréal, 369 p.

[19] Fondamentalement, ces transformations vont dans le sens d’une centralisation du pouvoir aux mains d’un individu et la réduction de la participation populaire dans les mécanismes de décision.

[20] Cf. Alain Badiou, Penser les crimes de masse, 2015

[21] Thomas Lalime, « Martissant, des Tontons Macoutes aux gangs armés », Le Nouvelliste, 21 juin 2021.

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