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Comment comprendre le racisme systémique

, extrait d’un article paru dans Sociologie et sociétés, volume 50, numéro 2, automne 2018

La notion de racisme systémique a connu un retour en force ces dernières années et possède plusieurs intérêts. D’une part, elle met l’accent sur les discriminations et l’expérience vécue qu’en ont les victimes. D’autre part, elle lie intimement discrimination, préjugés et stéréotypes, et exploitation économique. L’approche systémique du racisme empêche néanmoins la compréhension des multiples significations du racisme. Le racisme anti-­autochtone est un espace au sein duquel se juxtaposent et se confrontent plusieurs logiques contradictoires : une logique de différenciation déterminée par des principes d’ordre culturel (maintien de la pureté du groupe, hantise du métissage, etc.) ainsi qu’à une logique universaliste abstraite visant à nier la différence culturelle et les rapports de race. Ces logiques sont particulièrement visibles dans le contexte des revendications territoriales qui voient s’affronter des principes essentialistes et une idéologie du métissage visant à dissoudre la différence culturelle autochtone. Plusieurs recherches de terrain  montrent que le racisme anti-­autochtone ne repose pas sur une logique univoque, mais plutôt sur des logiques diverses dont l’articulation varie selon les acteurs et les sphères économiques ou politiques dans lesquelles ils agissent. Le discours des opposants à l’entrée des Innus dans la pêche commerciale traditionnellement contrôlée par les Nord-­Côtiers ne reposait pas sur une volonté de maintenir un rapport inégal d’exploitation en faveur des maîtres historiques. Le racisme visait à ériger une frontière physique, à mettre à l’écart au nom de la pureté et de l’intégrité de l’identité. Pour d’autres Allochtones qui participaient activement au développement de la pêche avec ou pour les Innus, la logique de différenciation était moins prégnante. Les Innus étaient par nature différents culturellement. Néanmoins, cette naturalisation de la culture conduisait à légitimer un rapport d’exploitation. Maintenir les Innus dans des emplois précaires et sous-­payés conviendrait à leur « culture » étrangère au salariat. Les consultants et conseillers étaient en somme obligés de dominer.

Le racisme se présente plutôt sous une forme éclatée, présent au plus haut niveau des structures juridiques et des politiques publiques. L’analyse des revendications révèle que cette logique de différenciation est au cœur du processus de reconnaissance des droits autochtones et des méthodes de règlements des revendications. Les réponses juridique et politique apportées aux demandes de restitution des terres réduisent la culture à un objet, à une somme d’essences ancrées dans un passé immuable auquel les Premières Nations doivent s’identifier si elles veulent être reconnues.

Si le racisme systémique, à juste titre, rend compte du fait que le racisme doit être analysé à tous les niveaux du système social, il réifie l’opposition structurelle entre colons et colonisés dont les limites ont été pointées par Stuart Hall au détriment d’une lecture plus fine des rapports de classe, de genre, de race. Le racisme systémique s’appuie sur une « lecture populationnelle » du problème qui tend à appréhender les rapports sociaux à travers des agents réduits à des masses informes racisées (blanc/autochtones) ou à leur position dans des rapports sociaux (colons/colonisés). Le colonialisme ne profite pas, pourtant, de manière égale à l’ensemble de la société majoritaire qui est elle-­même traversée par des rapports sociaux de classe, de genre ou de race. La logique coloniale n’empêche pas non plus l’émergence d’une classe bourgeoise autochtone (Anderson, 2013). Le racisme systémique n’échappe pas aux critiques adressées au racisme institutionnel. Il se présente comme un phénomène au sein duquel il n’y a pas d’acteurs. Or, l’État fédéral canadien en tant qu’acteur social joue un rôle majeur dans la production et la légitimation des logiques racistes même si celles-ci possèdent leur propre autonomie lorsqu’elles se déploie dans les interactions quotidiennes.

Le fait de se centrer sur les acteurs montre que ceux-­ci adoptent des logiques différentes au fil de leurs trajectoires biographiques. Certains pêcheurs sont ainsi passés des logiques d’infériorisation à des logiques d’exclusion des Innus. D’autres, comme les intellectuels Tom Flanagan ou Russel Bouchard en réaction au racisme différentialiste, réifient l’idée d’un corps social homogène au mépris de toute différence culturelle. Le racisme anti-­autochtone n’est pas le produit d’un lien déterminant entre un ensemble de valeurs cohérentes et des conduites humaines. Le racisme anti-­autochtone est porté par des acteurs réflexifs empruntant au gré de leurs positions sociales, de leurs intérêts ou de leurs valeurs des logiques antagonistes d’exclusion, d’infériorisation, d’assimilation qui s’expriment dans des conduites plurielles de ségrégation, de discrimination, de négation.

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