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Colonialisme de peuplement, capitalisme racial :  Que la gauche le dise

Patrica Alexander *
Malgré les mouvements antiracistes et décoloniaux, aucun groupe de la gauche dans leur analyse ne semble mettre le doigt sur la pierre angulaire de l’histoire et des fondements du Québec :   la base structurelle
La gauche – muette sur le colonialisme de peuplement
Peu a été écrit par la gauche québécoise, par les tendances socio-démocrates, socialistes ou marxistes, sur les bases de l’économie québécoise et de la société qui s’y posent :  je nomme ces bases, pour fins de débat, le colonialisme de peuplement et le capitalisme racial.  Aucune tendance, dans leur analyse du pays ou de la conjoncture, ne semble mettre le doigt sur la pierre angulaire, ou proprement dit la base structurelle, de l’histoire et des fondements du Québec.
Pour mettre de l’avant une alternative et une critique tranchantes, la gauche doit être capable de présenter à la population une analyse qui réponde à sa réalité, et aux crises qu’elle vit en ce moment.  Il faut démontrer que nous comprenons d’où vient l’État québécois, sur quelles bases et quels peuples il s’est construit.  Et il faut articuler quelles populations constituent le peuple québécois, et quels peuples forment la colonne vertébrale de nos alliances potentielles, de la lutte anticapitaliste, lutte qui doit intégrer lutte décoloniale et antiraciste, pour la planète, contre les changements climatiques.
L’histoire et l’État au Québec
Le colonialisme de peuplement
« Le colonialisme de peuplement est un mode de domination spécifique, dans lequel une communauté de colons exogènes se déplace de façon permanente vers un nouveau lieu, élimine ou déplace les populations et souverainetés autochtones, et se constitue en organe politique autonome. » [i]
Historiquement, depuis les premiers contacts des Européens avec les peuples autochtones du « nouveau monde », le colonialisme de peuplement se déclare différent de tout autre colonialisme, parce que les colons viennent pour rester.  Non seulement ils arrachent les ressources, mais ils mettent les peuples autochtones de force au travail ou à la servitude;  ils font venir divers groupes des pays impérialistes pour travailler et occuper les terres autochtones qui sont progressivement dépossédées.
« Au Canada, le capitalisme a besoin du colonialisme de peuplement pour fonctionner. Cela a souvent été ignoré dans les critiques marxistes ou socialistes traditionnelles du capital. » [ii]
Le Québec, comme le Canada, est un État de colonialisme de peuplement  (en anglais le « settlercolonialism»).  Ses débuts remontent aussi loin que les contacts européens avec les Amériques des 15e et 16e siècles.  Sous cette forme de colonialisme, le pays impérialiste envahit et établit une «colonie» – non simplement pour extraire la richesse de ses ressources et de ses produits. La métropole impérialiste utilise la force militaire pour occuper des terres et pour déplacer et remplacer la population autochtone afin de créer son propre peuple «nouveau». Elle renomme et contrôle le territoire, pour accumuler des richesses et tirer un avantage économique de ses concurrents. Dans les Amériques, les États coloniaux de peuplement ont été établis au cours d’une longue période de rivalité entre les puissances européennes pour l’ascendant militaire et matériel.
Au Québec, la rivalité pour la domination coloniale entre la France et la Grande-Bretagne a marqué un tournant désastreux dans l’histoire de la population autochtone et a façonné la vie des peuples qui ont été transférés dans la nouvelle colonie pour l’occuper.
Le point clé pour une analyse économique et politique est que l’État et l’économie du Québec sont construits sur la base de l’expropriation des terres et des ressources des peuples autochtones, et également sur le patriarcat et le génocide :  destruction de leurs modes de vie, des normes de genre et du tissu social de leurs communautés.  Ce n’est pas seulement un génocide historique, qui n’a eu lieu que dans le passé – il continue depuis.  À travers les décennies et les siècles de sa création, cet État s’est aussi bâti sur l’importation de peuples racisés, dont l’immigration est soit forcée, soit volontaire.  Le capitalisme racial du Québec se maintient par une économie qui profite du racisme systémique.  Ce racisme, dans toutes ses déclinaisons, pèse sur les vies des peuples autochtones et des groupes racialisés et marginalisés de la société.
On peut préciser que le Québec de nos jours doit se décrire comme :  (1) État colonialiste, du capitalisme racial et extractiviste; (2) avec sa propre bourgeoisie nationale et multinationale ainsi que ses élites politiques; et avec (3) l’héritage d’un conflit politique avec la bourgeoisie canadienne. Cela signifie que l’État dirigé par cette bourgeoisie québécoise détient trois agendas, qui affectent tous les trois notre rôle et nos possibilités dans un parti politique comme Québec solidaire (QS).
  • En tant qu’État colonial (settler-colonial state), le Québec est fondé sur l’expropriation par des puissances coloniales françaises et britanniques de terres et de ressources qui n’ont jamais été cédées par les peuples autochtones. Les bénéfices de la classe dominante sont basés sur : l’hydroélectricité, les combustibles fossiles, l’exploitation minière et les minéraux, l’agro-industrie, la foresterie, la pêche, toutes les industries financières et commerciales qui découlent de ces ressources.  Sur cette richesse, la bourgeoise québécoise a bâti des compagnies multinationales, historiquement et jusqu’à nos jours (Hydro-Québec, Cascades, Desjardins, Caisse de Dépôt, les Banques Laurentienne, Nationale et autres; SNC-Lavalin, Québecor, Alcan/Alcoa, Glencore (nickel et cuivre), Bombardier; Métro, Provigo/Couche-Tard, Olymel; Dollarama, entre autres).
Ces compagnies et la classe dirigeante exploitaient déjà à bon marché le travail des Autochtones, aujourd’hui, le fait dans les régions, et  avec le temps, de plus en plus par le travail des immigrant.e.s et populations racisées, dans le travail industriel, agricole, digital, de service, partout au Québec.  Certains domaines de travail offrent de bons salaires, souvent des emplois qui sont syndiqués.  Pour d’autres personnes, moins favorisées, le statut précaire des couches inférieures les maintient dans des conditions de vie périlleuses et dégradantes.
La valorisation privée des ressources naturelles est la pierre d’assise de l’installation européenne dans le nord de l’Amérique, et le droit canadien héritier du droit de conquête britannique fonde la légalité de cette entreprise.[iii]
  • Le gouvernement du Québec exerce l’autorité de l’État dans l’intérêt d’une classe bourgeoise qui continue d’exister sur la base de la dépossession persistante des terres et des ressources autochtones. La classe dirigeante exploite des peuples du Sud ainsi que ceux du pays. Les élites québécoises profitent en outre de la main-d’œuvre à bon marché de personnes obligées d’immigrer ou de se réfugier, qui forment une sous-strate de travailleuses et travailleurs racialisé.e.s souvent sans papiers et mal protégé.e.s.
  • Alors que certains membres de la bourgeoisie québécoise ont trouvé avantageux de vivre en harmonie avec les élites économiques et politiques du Canada, d’autres éléments continuent de mener un conflit avec la bourgeoisie canadienne. Ce conflit sert à utiliser l’État québécois pour des subventions aux compagnies et pour se protéger de la concurrence externe.  Ce « nationalisme » conservateur n’a rien à voir avec l’oppression nationale du peuple québécois par l’État et la bourgeoisie canadiens.  Il n’y a non plus à voir avec la juste lutte du peuple québécois pour son indépendance.
Des bases d’unité au Québec
Essor des voix
Deux grands mouvements, autochtones et antiracistes, ont récemment fait entendre leur voix au Québec; ils ont fourni des leçons qui découlent des causes importantes et distinctes.
Les mouvements militants des peuples autochtones au Québec et au Canada ont connu un essor particulier depuis la grève de la faim de 2012 de la chef Attawapiskat Theresa Spence et la fondation de Idle No More par des femmes autochtones (notamment au Québec Widia Larivière et Mélissa Mollen-Dupuis). Les peuples autochtones de la base et leurs partisan.e.s ont agi en dehors du cadre des anciennes structures créées par la Loi sur les Indiens.
Au cours de la même période, les luttes antiracistes se sont intensifiées, se fusionnant autour du meurtre policier de Fredy Villanueva à Montréal-Nord et d’une série d’autres fusillades racialisées, y compris des actes islamophobes, et le 29 janvier 2017, le meurtre de 6 musulmans en plus de 19 blessés dans leur lieu de culte. Ces actes de violence, alors que les gouvernements du Québec proposaient des mesures racistes, les unes après les autres, le PQ avec son projet de loi «Charte des valeurs québécoises»; la loi 62 du Parti libéral du Québec; et l’adoption par la CAQ de la loi discriminatoire 21 en 2019, qui cible directement des femmes racisées. Une mobilisation solidaire, féministe et antiraciste s’est développée en réponse, organisant des actions et des forums à travers le Québec.
Ces deux mouvements se sont reflétés dans QS, avec notamment la création d’une Commission nationale autochtone en 2019, une première pour tout parti politique au Québec ou au Canada. Un Collectif antiraciste décolonial a également été reconnu dans QS, pour donner la parole aux appels à l’action dans le parti et au Québec, et le parti a adopté à une immense majorité une position diamétralement opposée à la loi discriminatoire 21.
Les groupes militants au Québec ont dégagé plusieurs leçons dans leurs appels à l’unité et au soutien :
Les luttes autochtones sont distinctes et ne peuvent pas être regroupées sous une rubrique «antiracisme» fourre-tout. L’histoire autochtone n’a pas été enseignée au Québec, et les conditions et les exigences des 11 peuples distincts ne peuvent pas non plus être transformées en réponses universelles simplifiées. Le plus important: les peuples autochtones au Québec ont une relation politique directe qui n’a jamais été résolue avec le gouvernement colonialiste occupant – ni avec le Québec ni avec le Canada.
Les luttes autochtones et antiracistes n’ont pas eu beaucoup de place dans le projet national québécois, et peu de partisans de l’indépendance du Québec ont lié leur projet à la reconnaissance des revendications d’autodétermination des peuples autochtones, ou au travail de nation à nation, dès maintenant, au sein de Québec solidaire et au Québec.[iv]
Le projet national du Québec doit embrasser l’antiracisme et appuyer la reconnaissance de cette lutte par le mouvement national et par nos institutions. Il doit réarticuler l’histoire du colonialisme de peuplement pour reconnaître les justes revendications des nations autochtones.  Il doit aussi inclure toutes les communautés contributrices de manière explicite et ouverte dans le concept du Québec que nous aspirons à émanciper.
Les luttes antiracistes ne peuvent être dirigées que par des personnes racialisées. Il est vital que ces luttes soient embrassées par les populations majoritaires et leurs mouvements, y compris les populations immigrantes francophones, anglophones et «intégrées», qui ont acquis des privilèges au fil du temps vis-à-vis des communautés racialisées et des nouveaux et nouvelles arrivant.e.s.
Le colonialisme de peuplement, base matérielle de la bourgeoise
Le colonialisme de peuplement constitue une forme particulière du capitalisme impérialiste, pour plusieurs raisons. L’aventure européenne dans les Amériques se développe rapidement en distinction des colonisations de « l’ancien monde ».  Non seulement le colonisateur « vient pour rester »;  il doit aussi faire de la place pour un nouveau « peuplement » en remplaçant et repoussant, en confinant dans des «réserves» ou simplement en exterminant les habitants d’origine.
Au Québec, les projets impérialistes français et britannique se sont affrontés, d’abord sur les produits à base de ressources pour les marchés de la métropole, mais bientôt en concurrence pour la forêt et les terres arables sur lesquelles s’établissent des paysans et des ouvriers dociles – pour construire une colonie qui porterait la «mission civilisatrice» de l’empire sur de nouvelles terres, mûres pour la prise.
La discussion du colonialisme de peuplement au Canada et au Québec remonte à plus de dix ans, souvent en anglais.[v]
La dépossession des peuples d’origine est rendue possible et acceptable à notre époque par la racialisation de « l’Autre » comme « sauvage », en dégradant le statut des femmes, et par la théorisation de leurs terres comme vides, n’appartenant à personne – la terra nullius de la pensée ecclésiastique et juridique.  La convoitise de ces nouvelles terres, à commencer par les fabuleuses fourrures qui ont financé les premières sociétés de capital-risque de la Baie d’Hudson et de la Terre de Rupert, s’est rapidement étendue aux forêts imposantes et aux riches vallées et plaines agricoles dont les bénéfices ont soutenu leur croissance continue.
Dès le XVIe siècle, la domination de ce commerce cède la place aux appétits pour les forêts imposantes et les vallées et prairies fertiles qui ont financé la croissance continue et l’accumulation des entrepreneurs français et britanniques (plus tardifs), tous deux avec le soutien de la couronne.
Le capitalisme racial
L’expansion et la consolidation de la souveraineté de la nouvelle colonie-pays, en réaction aux refus des peuples autochtones de se plier aux exigences des colonialistes, ont rapidement fourni leur propre solution.  Des travailleurs pourraient être amenés de la métropole – même des plus éloignées, si nécessaire. Les premiers colons ont été recrutés à même les chômeurs et les sans terre de l’Europe occidentale. Plus tard, les ministres de «l’Intérieur» et les entrepreneurs ont cherché plus loin, parmi les paysans des empires d’Europe centrale et orientale, puis dans le Sud global.
Ce processus d’importation d’une main-d’œuvre traitable et divisible a servi à deux buts : celui de miser sur la nécessité ressentie des immigrant.e.s de se taire et travailler pour assurer leur subsistance, et celui d’inciter la stratification en couches des plus et des moins favorisées.
Les divisions ainsi provoquées au sein des couches travailleuses ont permis aux employeurs et aux fonctionnaires de bloquer les tentatives d’alliances parmi les travailleur.euse.s et entre les immigrant.e.s et les peuples autochtones. Ils ont favorisé un sentiment de supériorité chez les uns, en les encourageant à faire reculer le statut des «autres».
« De manière historique, le statut et les privilèges conférés par l’ethnicité pourraient être utilisés pour compenser les relations de classe aliénantes et exploitantes, au Nord et au Sud. Les travailleurs blancs ont pu, et l’ont fait –  définir et accepter leurs positions de classe en façonnant des identités comme «non esclaves» et «non Noires». » [vi]
Les groupes québécois qui se disent socialistes (Alternative socialiste, Révolution Écosocialiste, Riposte socialiste) discutent les luttes des peuples autochtones. Ils parlent de la dépossession territoriale et le génocide culturel.  QS aussi en parlent.
Ces déclarations faisant référence au colonialisme, à la terre et au vol sont légitimes. Mais le colonialisme de peuplement va plus loin que cela. Au-delà des droits, et au-delà des terres volées et du génocide «culturel», le colonialisme de peuplement existe ici et maintenant; le génocide existe ici et maintenant. Cela signifie que l’on reconnaît aujourd’hui des impératifs stratégiques pour les successeurs des colons, que l’on reconnaît le vol de terres et de ressources par l’État armé non seulement comme un événement historique, mais comme un tort ininterrompu, qui persiste.
Les actes originaux de dépossession de terres ont rompu le potentiel de survie de centaines de milliers de peuples originaux qui occupaient les territoires de Kebec et de l’île de la Tortue au complet.  La dépossession persistante des terres prive les peuples autochtones de leur gagne-pain, de leur communauté et de leurs droits et dignité.  La dignité n’est pas simplement un sentiment; elle repose sur l’autonomie dans les décisions fondamentales, qui relève de la vraie possession de ses moyens de production, et de la souveraineté sur ses terres, ses ressources et les institutions de la structure sociale.
Donc, l’oppression et la lutte des peuples autochtones ne devraient pas être vues comme luttes « en parallèle ».  Pour être cohérent avec notre analyse de l’expropriation des terres et des ressources des peuples autochtones comme base originale et continue de la construction de l’économie québécoise, il faut intégrer la lutte décoloniale – et antiraciste –  avec la lutte pour l’indépendance et pour la révolution socialiste.  Aucune perspective de luttes parallèles, ni sous-jacentes, n’équivaut à une alliance fondamentale et primordiale des Premiers Peuples avec toute la classe ouvrière, le peuple tout entier.
Si nous n’établissons pas cette alliance fondamentale et prioritaire, comment pouvons-nous nous présenter devant les membres autochtones de QS ainsi que les communautés autochtones au Québec et nous engager à ne faire qu’un avec eux?
Colonialisme persistant
La signification constante de l’analyse du colonialisme de peuplement se trouve dans le fait que les antécédents et l’extraction de richesse se poursuivent jusqu’à ce jour. Et le vol non seulement des «droits» des peuples autochtones, comme le reconnaît le texte de RÉ, mais aussi la dépossession des terres et des ressources qui continue sans relâche à ce jour.  Il faut reconnaître que la privation et les conséquences mortelles du déplacement des populations autochtones se poursuivent.  Il n’y aura pas de Justice pour Joyce sans cette reconnaissance, comme premier pas essentiel pour la gauche.
Reconnaître, c’est essentiel
Sans reconnaissance par la gauche du rôle essentiel de l’extractivisme du capitalisme racial et colonial, on occulte les conséquences critiques qu’il a eu sur les peuples dépossédés et expulsés de leurs terres et de leurs pays du Sud.  Sans cette reconnaissance, la lutte contre la crise écologique ne mobilise pas ses alliés fondamentaux.  Sans reconnaître que les peuples colonisés et marginalisés font aujourd’hui partie intégrante de la véritable «classe ouvrière», l’espoir de faire alliance avec eux au Québec est fatalement vicié.
« En dépit des tentatives de réconciliation et des fausses politiques de justice … l’esprit qui animait le système colonial et son élite opère toujours… En dépit d’actes de reconnaissance symbolique par les gouvernements – afin de simuler la justice – et de rapprochements stratégiques avec les Premiers Peuples – afin de dissimuler l’usurpation – rien ne change sur le fond. Le régime demeure intact. Les objectifs de subjugation et de dépossession du régime colonial canadien, qui inclut le Québec, sont figés. Immuables. L’ADN du Canada, du Québec, est colonial… Le Canada, le Québec, ou le «Nouveau Monde», s’est constitué aux dépens de nos peuples, par leur effacement et leur marginalisation. » [vii]
Colonialisme de peuplement – jusqu’au présent
Le colonialisme de peuplement met en branle des mesures pour à la longue éliminer les populations autochtones pendant qu’il continue l’exploitation des personnes immigrantes en tant que « cheap labour » par le biais de leur marginalisation par les structures du racisme systémique.  La Loi sur les Indiens est non seulement un exemple patent de racisme d’État – elle a été créée pour diminuer progressivement le nombre d’Indiens, pour enfin radier l’existence des peuples.
L’État colonial occupant est fondé sur le génocide – parce que l’exploitation de la terre et de la source de vie, ainsi que l’extermination des peuples autochtones, constituent la clé pour la création et le maintien de la classe dirigeante coloniale. Longtemps après l’accumulation initiale du capital, l’État colonisateur maintient son mode de production extractiviste.
« L’extraction et l’assimilation vont de pair. Le colonialisme et le capitalisme sont basés sur l’extraction et l’assimilation. Ma terre est considérée comme une ressource. » [viii]
Pour réussir, en plus de les expulser de leurs terres par « la règle du droit », il doit convertir et «scolariser» les peuples autochtones et anéantir leur culture, les définir comme «autres».  Tout ceci, afin que les femmes puissent être assassinées sans enquête judiciaire, que les Autochtones puissent remplir les prisons et les foyers de « protection » des enfants et jeunes, puissent mourir à des taux extrêmes de violence, de maladies, de psychoses, mourir de suicide; et toute autre forme d’extermination systématique.
Que le génocide ne soit pas simplement un phénomène historique, mais continue de nos jours, est démontré par le maintien de ces conditions immondes de maladies, pauvreté, logement insalubre et du manque d’eau potable dans les « réserves » autochtones et dans les communautés inuit, des conditions de chômage, d’itinérance et de traite des personnes dans les villes.
Quand le rapport de l’Enquête sur les femmes et filles autochtones disparues et assassinées (EFFADA) a conclu que les pratiques et systèmes des autorités gouvernementales constituaient le génocide, il ne l’a pas dit en termes figuratifs.  Dans la clameur qui a suivi ce constat, les commissionnaires ont précisé que le terme génocide souligne que les abus détaillés dans le rapport continuent à ce jour.
La destruction continue de l’assise territoriale, la dépossession et la destruction des territoires de chasse et de pêche autochtones, l’incapacité à redresser le système judiciaire et carcéral destructeur pour la vie des autochtones et les taux de mortalité élevés – ces éléments et bien d’autres démontrent que le colonialisme de peuplement reste un système génocidaire.
L’utilisation des peuples racisés
Des auteurs du Sud et de la diaspora appellent à la nécessité de voir clairement « le projet colonial capitaliste de dépossession simultanée (des peuples autochtones) et d’incorporation / réinstallation précaire (d’immigrants). »
Il ne faut donc pas mettre sur le dos des personnes issues de l’immigration la responsabilité de l’occupation des territoires et le déplacement des peuples autochtones.  En même temps, il est possible pour certain.e.s immigrant.e.s de s’intégrer dans l’ethnie dominante et de profiter de plus grands avantages du colonialisme occupant que d’autres. Ces conditions ne sont pas immuables.
Les projets de « l’ouverture de la frontière” et de « winning the West » ont servi de mythes à l’édification de la « nation » pan-canadienne et américaine.  Mais les personnes immigrantes qui sont venues en tant que «pionniers» de ce jeu de la passion ont marché sur une scène à plusieurs étages. Certaines ont été facilement intégrées dans les strates des colons blancs. Certaines ont été moins bien accueillies. « Pour les gens de couleur, les avantages d’être un colon s’accumulent de manière inégale. » [ix]
La pandémie et les classes populaires
De nos jours, dans le contexte d’une pandémie qui a déjà coûté la vie à des milliers et des milliers de personnes, qui a ravagé l’économie et les liens normaux des espaces sociaux, les gens se demandent pourquoi le virus semble imparable.  Nos ministres d’État hochent la tête en disant: «Nous ne savons pas où se produit la transmission ».
Mais les témoignages des employé-e.s immigrant.e.s de Dollarama, et des usines de conditionnement de viande Olymel sont loquaces.  Les gens sont empaquetés dans des navettes en ville pour se rendre à l’usine ou à l’entrepôt; sur la ligne, elles et ils sont positionné.e.s épaule contre épaule. Leur équipement de protection individuelle est rare et de mauvaise qualité, avec des gants et des masques distribués une fois par jour.  La qualité de l’air est souvent inadéquate. Les personnes blessées n’ont pas de recours au repos ou au travail moins lourd, donc continuent sans aide médicale ni repos à travailler jusqu’à l’épuisement total.
Les statistiques actuelles montrent que les femmes autochtones, immigrantes ou racisées sont plus vulnérables aux conséquences sociales et économiques de la pandémie. « Leur accès au marché du travail et leur surreprésentation dans les emplois à risque et faiblement rémunérés soulèvent des enjeux à cet égard ».  La proportion de personnes immigrantes parmi le personnel dans les services de santé au Québec est plus élevée que dans l’ensemble des autres professions. Plus de 80 % sont des femmes. « Les femmes noires et philippines sont aussi surreprésentées parmi les travailleuses de la santé de première ligne à l’échelle du pays. En outre, de manière générale, les femmes noires accèdent plus difficilement que les autres Canadiennes à des emplois qualifiés et à une rémunération équitable. » [x]
On voit les mêmes ravages aux communautés des sans-abris – et les foyers pour femmes autochtones urbaines qui manquent de financement pour soutenir les personnes en situation précaire.
Nous cherchons des bases pour créer la solidarité entre les classes populaires, les gens issus de l’immigration, les personnes racisées, les gens au bas de l’échelle ?  Les bases sont là; il appartient à la gauche, aux gens qui se portent allié.es et voix de la classe ouvrière, d’en faire usage.
*Patricia Alexander est économiste, membre de QS Mont-Royal-Outremont et du Comité thématique Décolonisation
Remerciements sincères à Lucie Mayer pour la révision et le soutien à la rédaction.
NOTES
[i] Veracini, Lorenzo. 2019 Settler Colonialism, dans : Ness I., Cope Z. (eds) The Palgrave Encyclopaedia of Imperialism and Anti-Imperialism. Palgrave Macmillan, Cham
[ii] Lowman, Emma Battell; Barker, Adam. 2015. Settler:  Identity and Colonialism in 21st Century Canada [Colon: Identité et colonialisme au Canada du 21e siècle. Traduction des citations, Lucie Mayer]. Fernwood.
[iii] Giroux, Dalie 2013. Une lutte qui combine le rejet du colonialisme et celui de la forme de vie capitaliste et extractive qui caractérisent le Canada :  Entrevue avec Dalie Giroux sur la lutte de la nation Wet’suwet’en https://www.pressegauche.org/Une-lutte-qui-combine-le-rejet-du-colonialisme-et-la-forme-de-vie-capitaliste
[v] Des textes sur ce sujet au Canada et au Quebec incluent:  Coulthard, Glen S. 2007. Subjects of Empire:  Indigenous Peoples and The ‘Politics of Recognition’ in Canada, dans:  Contemporary Political Theory 6, 4; Ross-Tremblay, Pierrot and Hamidi, Nawel 2013 Les écueils de l’extinction: Les Premiers peuples, les négociations territoriales et l’esquisse d’une ère postcoloniale, Recherches amérindiennes au Québec, XLIII, No 1, 2013, pp 51-57; Coulthard, Glen S. 2018. Peau rouge, masques blancs: Contre la politique coloniale de la reconnaissance. Traduit de l’anglais par Arianne Des Rochers et Alex Gauthier, Lux Éditeur;  Lowman and Barker 2015, note 2; Nungak, Zebedee 2019. Contre le colonialisme dopé aux stéroïdes:  Le combat des Inuit du Québec pour leurs terres ancestrales (traduit de l’anglais : 2017. Wrestling with Colonialism on Steroids: Quebec Inuit Fight for Their Homeland. Véhicule);  Burelle,  Julie 2019.  Encounters on Contested Lands:  Indigenous Performances of Sovereignty and Nationhood in Quebec. Northwestern University Press; Barker, Rollo and Lowman 2019. Settler Colonialism and the Consolidation of Canada in the 20th Century, dans The Routledge Handbook of the History of Settler Colonialism.
[vi] Cité de: Roediger, David 1999. The Wages of Whiteness: Race and the Making of the American Working Class Verso. p. 200, critique au: https://pdfs.semanticscholar.org/6508/623882d5f32feccc52f9f07a38f37303bb18.pdf?_ga=2.224909721.22558944.1605654266-1871116222.1605654266
[vii] Collectif Ishpitenimatau Tshikauinu Assi 2018. Manifeste des Premiers Peuples : Préceptes d’une résurgence, dans : Premiers peuples: cartographie d’une libération. No 321 Automne P. 39–45
[viii] Simpson, Leanne (Anishnabe).  2013. Dancing the world into being:  A conversation with Idle No More’s Leanne Simpson https://www.yesmagazine.org/social-justice/2013/03/06/dancing-the-world-into-being-a-conversation-with-idle-no-more-leanne-simpson/
[ix] Jafri, Beenash, citée dans Lowman et Barker 2015, Op.cit., p. 29
[x] Conseil du statut de la femme Québec. 2020. Femmes autochtones, immigrantes ou racisées dans l’œil de la pandémie. Gouvernement du Québec https://csf.gouv.qc.ca/article/publicationsnum/les-femmes-et-la-pandemie/societe/femmes-autochtones-immig rantes-ou-racisees-dans-loeil-de-la-pandemie/

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