Institut de recherche et d’informations socio-économiques,
Cinq chantiers pour le Québec,
Montréal, Écosociété, 2016
Depuis la crise de 2008, des politiques d’austérité sont imposées aux Québécoises et aux Québécois. En coupant dans les services publics au nom de l’atteinte du déficit zéro, le gouvernement du Québec semble avoir mis de côté la question du bien commun et du vivre-ensemble en dépossédant les classes défavorisées de services essentiels.
Face à cette charge à fond de train, l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) s’est donné le mandat explicite de « brasser la cage ». Bien connu pour la production et la diffusion d’un contre-discours aux perspectives que défend l’élite économique et politique au Québec, c’est en passant « de la réaction à la proposition » que le collectif d’auteur-e-s atteint son objectif. Au-delà du travail de critique et d’analyse, l’IRIS pose ici cette question : « Quelles sont les politiques qu’un gouvernement attaché au bien commun pourrait mettre en branle dans un premier mandat ? ». Bien ancrées dans un souci de transformation sociale à court et moyen terme, les suggestions mises de l’avant s’inscrivent parallèlement dans un projet de redéfinition profonde des manières de faire de l’économie et de la politique au Québec.
C’est à travers cinq chantiers (temps, démocratie, bien-être, territoire, transition) qu’on trouve des mesures concrètes et audacieuses qui visent non seulement à briser la logique inégalitaire propre à l’austérité, mais aussi à se redonner un « certain goût pour l’audace et l’ambition collective ».
Temps
La première suggestion de l’IRIS consiste à revoir la répartition du temps consacré au travail salarié. Dans la configuration sociale actuelle, le travail salarié occupe une place prépondérante pour une majorité de la population québécoise, laissant ainsi très peu de temps pour des activités non rémunérées comme le travail ménager, le soin envers ses proches, l’implication dans sa communauté, ou simplement du temps pour des projets personnels. Dans le but de rétablir un certain équilibre entre les différentes occupations, soit de « mieux concilier les temps de la vie », trois mesures sont proposées. Ces mesures, qui agiraient à trois niveaux (au quotidien, à l’année et à l’échelle d’une vie), consistent en une réduction de la durée de la semaine de travail (passage progressif vers une semaine de 32 heures), une bonification du nombre de semaines de congé obligatoires par année et l’implantation d’un congé universel pour la réalisation de projets personnels. Selon les auteur-e-s, ces mesures, combinées à la mise en place d’institutions publiques financées adéquatement, conduiraient à la diminution de l’importance octroyée au travail salarié au bénéfice d’autres activités actuellement non rémunérées (d’ailleurs majoritairement occupées par les femmes, ce que n’oublient pas de souligner les auteur-e-s). Il s’agirait de poser un premier pas significatif vers une réappropriation des temps de vie et de mettre en place des bases pour une démocratisation de rythmes de vie plus sains.
Démocratie
Le peu de démocratie qui subsiste dans notre société s’arrête généralement aux portes des entreprises. En effet, face aux transformations postfordistes du monde du travail (flexibilisation, responsabilisation, précarisation de la force de travail et financiarisation), l’IRIS se questionne sur la possibilité d’imaginer un mode d’organisation où le travail ne serait plus une activité synonyme de stress, de mal-être et d’anxiété, mais bien une « expérience humaine enrichissante ». Pour y arriver, nous dit l’IRIS, il importe de combiner à la réduction du temps de travail une démocratisation de l’économie. La démocratisation de l’économie passerait prioritairement par un contrôle démocratique des entreprises par les salarié-e-s, par une démocratisation des services publics et par la facilitation du développement des coopératives. Par exemple, ce dernier élément pourrait prendre la forme de la priorisation des coopératives lors d’appels d’offres pour des contrats gouvernementaux, la préférence des demandes de financement pour le démarrage de nouvelles entreprises ou encore par l’encouragement et le financement du « repreunariat ».
Bien-être
Ce chapitre est consacré à la nécessité et « à la possibilité d’assurer à tous et toutes la capacité de couvrir leurs besoins de base ». En prenant comme point de départ le fait que les ressources nécessaires pour couvrir les besoins de base de l’ensemble de la population au Québec en 2017 sont disponibles, l’IRIS affirme que, si la pauvreté persiste, c’est pour des raisons essentiellement politiques. Face à cette situation, il importe de repenser un nouveau pacte social et fiscal qui assurerait la couverture des besoins de base de tous et toutes, entre autres par la mise en place d’un salaire minimum viable qui permettrait à une personne qui travaille à temps plein de sortir de la pauvreté.
Territoire
Ce chapitre pose la nécessité d’une réappropriation du territoire basée sur une décentralisation du pouvoir qui serait liée à sa gestion, à la primauté du droit d’usage et au retrait des terres du marché. La transition proposée a comme objectif de rompre avec le modèle de l’État centralisé et de mettre en place des institutions qui permettraient une gestion collective, représentative et démocratique du territoire. En tant que nouveau lieu d’exercice de pouvoir, la commune représenterait cette solution de rechange politique, alors que la proposition d’organismes foncièrement utiles (OFU) servirait de solution de rechange économique dans le but de « soustraire la propriété du sol à la dynamique de marché ».
Transition
Il serait si commode de régler la crise écologique sans réaménager en profondeur notre système économique. Cette option est pourtant irréaliste, nous dit l’IRIS. La transition écologique devra impérativement s’accompagner d’une transition économique qui rompt avec les politiques d’austérité, l’évaluation économique de la nature et un système économique basé sur la croissance et le profit. Plutôt que d’être considérée comme un frein à l’activité économique, cette transition doit être prise comme une opportunité de repenser un système économique qui permettrait « d’améliorer notre bilan environnemental et la qualité de vie de l’ensemble des Québécois-e-s ». Notamment par la création d’emplois verts, par un réinvestissement dans le transport collectif et en misant sur les circuits économiques courts, il deviendrait possible de penser simultanément des politiques environnementales rigoureuses et une amélioration nette des conditions de vie moyennes, contrairement à ce que voudrait bien nous faire croire une certaine élite économique et politique.
À travers cinq chantiers, cette plaquette nous permet de rêver tout en restant ancrés dans la pratique. En jetant les bases d’un projet de société qui ne serait pas fondé sur la privatisation et l’extractivisme, le collectif d’auteur-e-s nous rappelle que d’autres manières de penser le vivre-ensemble sont possibles. Avec ce livre, l’IRIS soumet au débat public des propositions qu’on ne peut plus se permettre de ne pas prendre au sérieux. Les préoccupations économiques, sociales et politiques doivent être réarticulées autour de la démocratie, de l’écologie, du féminisme et de la justice sociale, comme en témoignent les enjeux soulevés par les auteur-e-s. Si certaines de ces « utopies pragmatiques » commencent à être à la mode auprès d’une certaine gauche, le débat public ne s’en retrouverait que rehaussé en les reprenant. Pour nourrir la confrontation politique, pour alimenter le débat et, surtout, pour que le changement social ne soit pas monopolisé par la droite, d’autres ouvrages comme celui-ci seront encore nécessaires.
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Collectif d’analyse politique
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