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Changer le système, mais par quoi ?

Frédéric Legault (doctorant et professeur en sociologie au Collège Ahuntsic), Nouveaux Cahiers du socialisme, no. 25, hiver 2021.

La crise de la COVID-19 a rappelé l’incapacité du « libre marché » à produire adéquatement et à allouer correctement les ressources. À travers la planète, les gouvernements ont dû intervenir massivement et rapidement pour arrimer leur économie nationale aux objectifs de santé publique. Conversions industrielles[1], nationalisations[2], subventions massives : subitement, les gouvernements se sont mis à coordonner l’activité économique pour qu’elle réponde à des objectifs décidés en amont de la production[3]. En d’autres termes, ces interventions ont rappelé une contradiction patente du discours dominant. Pourquoi intervenir si massivement si le libre marché est soi-disant en mesure de répondre aux besoins du plus grand nombre ? Serait-ce là un désaveu implicite des mécanismes de marché de la part de nos dirigeants ?
Nous verrons dans un premier temps que, contrairement à la fable du libre marché, le capitalisme planifie en fait déjà l’économie, mais qu’il le fait mal. Dans un deuxième temps, nous verrons à gros traits à quoi pourrait ressembler le fonctionnement d’une économie planifiée démocratiquement qui pourrait satisfaire les besoins de toutes et de tous à l’intérieur des limites planétaires[4].

Une économie déjà planifiée

Si, selon le discours dominant, planification économique est synonyme d’autoritarisme soviétique, sur quelles bases pourrait-on affirmer que les avatars du libre marché planifieraient l’économie ?
L’économie capitaliste n’est effectivement pas planifiée de la même façon qu’elle l’était en URSS. Alors que sous Staline, c’était l’État qui assurait une planification centralisée et hiérarchique de l’économie, ce sont principalement les grands conglomérats privés, de concert avec l’État, qui assurent ce rôle sous le capitalisme. La fable du libre marché est un cache-sexe qui sert à masquer cette réalité : la coordination de l’économie par les grandes entreprises. C’est là la principale distinction entre la planification capitaliste et la planification soviétique.
Malgré leurs différences, soulignons une similarité importante entre l’économie soviétique et l’économie capitaliste, soit l’absence de contrôle démocratique sur l’activité productive et sur les principaux investissements. Des deux côtés du rideau de fer, le pouvoir social était accaparé par une poignée de dirigeants. Que ce soit par la nomenklatura soviétique ou par l’establishment capitaliste, les travailleuses et les travailleurs étaient (et sont encore) dépossédés de pouvoir décisionnel sur leur travail et sur l’économie dans son ensemble.
Une autre distinction entre la planification capitaliste et la planification soviétique repose sur la nature de la planification. Les entreprises capitalistes, contrairement aux entreprises soviétiques, évoluent au sein d’un marché concurrentiel[5]. Aucune entreprise ne peut s’extraire complètement du marché, et chacune d’entre elles est contrainte de s’y engager pour se procurer son approvisionnement, sa main-d’œuvre, et pour écouler ses marchandises. Pour atténuer les incertitudes du marché, les grandes entreprises tenteront d’influencer les acteurs qui les intéressent (fournisseurs, compétiteurs, gouvernements, employés et clients). Plus la taille de l’entreprise sera grande, plus elle détiendra de pouvoir, et plus elle sera en mesure de négocier avantageusement avec eux. L’entreprise cherche donc à croître pour accumuler du pouvoir, pouvoir qui lui permettra d’infléchir les choix des acteurs avec qui elle fait affaire, et être ainsi mieux en mesure d’atteindre ses objectifs d’accumulation.
Selon l’économiste postkeynésien Marc Lavoie, les principaux objectifs de la grande firme sont l’expansion de son pouvoir et la croissance[6]. Cette croissance découle de la mise en concurrence des entreprises, ce qui les contraint à investir constamment (dans des machines plus performantes par exemple) pour rester compétitives. Cet impératif d’investissement est corollaire à l’expansion du pouvoir de la grande firme[7].
Comme la poursuite des objectifs de chaque entreprise se fait essentiellement au détriment des autres entreprises (l’augmentation des parts de marché notamment), cela entraîne inévitablement une dynamique de concurrence entre elles. Pour préserver son avantage concurrentiel, chaque entreprise cherche à réduire autant que possible ses coûts de production par un ensemble de stratégies (pratiques antisyndicales, automatisation de la production, transgression des normes du travail et environnementales, délocalisation vers des législations favorables, etc.). Selon David McNally, cette mise en concurrence est la raison principale pour laquelle le système se caractérise par une croissance constante et illimitée[8].

Comment la firme planifie-t-elle ?

Pour atteindre leurs objectifs, les entreprises vont chercher à contrôler leurs prix de vente par une technique dite de « coûts de production majorée[9] ». Elles ne peuvent fixer les prix à la hauteur qu’elles souhaitent; ces prix doivent être conçus comme le reflet d’un rapport de force entre les parties en présence, tout comme les salaires représentent le prix de la force de travail[10]. Sous le capitalisme, ce rapport de force désavantage structurellement le consommateur (prix du logement, de la nourriture, des vêtements, des services de télécommunication, etc.) et le travailleur (salaire et conditions de travail).
La grande entreprise planifie aussi sa propre demande. Contrairement à l’idée reçue selon laquelle la production ne ferait que répondre passivement aux besoins signalés par les comportements d’achat des consommateurs sur les marchés, c’est plutôt la sphère de la production qui « pousse » ses biens et services auprès des consommateurs[11]. Lorsqu’une grande quantité de capital est fixée dans une nouvelle chaîne de production, l’entreprise serait bien mal avisée d’attendre oisivement la réaction spontanée des consommatrices et consommateurs à son nouveau produit sans tenter d’en influer la demande. C’est principalement par la publicité[12], l’obsolescence programmée[13] et autres stratégies de marketing que la firme arrive à stimuler la demande et à écouler son volume de marchandise.
De façon complémentaire au conditionnement de la demande spécifique, l’entreprise doit pouvoir compter sur une clientèle qui détient le pouvoir d’achat nécessaire pour la vente de ses stocks. Les consommatrices et consommateurs ne doivent pas seulement désirer la marchandise, ils doivent avoir les revenus pour se la procurer. Comme l’entreprise ne peut remplir cette nécessité, c’est là une des fonctions capitalistes de l’État que d’assurer revenu et emploi[14]. Palliant une croissance insuffisante des salaires depuis le milieu des années 1980, la demande globale est complétée par une généralisation de l’accès au crédit personnel, qui permet aujourd’hui un niveau de consommation au-delà des revenus réels, ce qui facilite ainsi l’absorption de la surproduction par des ménages surendettés[15].
Retenons pour l’instant que du point de vue de l’économie dans son ensemble, les différentes stratégies de marketing adoptées par les grandes entreprises ne relèvent en  rien du « libre marché », mais bien d’une planification non seulement de sa production courante et de ses investissements, mais aussi de la consommation. Cette planification se fonde sur des intérêts privés qui permettent aux grandes entreprises d’atteindre leur objectif, soit l’expansion de leur pouvoir exigée par l’impératif d’accumulation.

Absence de planification à l’échelle du système

La planification capitaliste se distingue aussi de la planification soviétique par l’absence de coordination de son économie à l’échelle du système. Certains auteurs affirment que c’est cette absence de coordination à l’échelle du système qui entraînerait les crises[16]. Par exemple, l’absence de coordination intercapitaliste génère une disproportion entre la quantité de marchandises produites et celles que les ménages peuvent acheter. S’ouvre alors une possibilité de crise de surproduction, soit un moment où les marchandises produites ne s’écoulent plus sur les marchés. Les marchandises perdent alors en valeur, la tendance au profit est à la baisse, les investissements chutent, la production baisse, les taux de chômage augmentent, et ainsi de suite[17]. Les crises ainsi engendrées amènent une restructuration de la production et un retour, non sans violence, à une nouvelle normalité souvent plus brutale que la précédente[18].
Les irrationalités qui se manifestent dans les multiples crises de notre époque (surproduction, financière, écologique, sociosanitaire) montrent la nécessité d’une planification économique à l’échelle du système.

Pour une planification démocratique de l’économie

Comme nous venons de le mentionner, les marchés sont planifiés par des intérêts privés non coordonnés entre eux, ce qui entraîne des crises, des dommages environnementaux, des inégalités socioéconomiques, de piètres conditions de travail, etc. À la suite de ces crises, les gouvernements doivent intervenir pour arriver à préserver les conditions d’accumulation, en socialisant les pertes et en rappelant périodiquement l’échec de la planification privée de l’économie.
Concevoir le capitalisme comme une économie planifiée nous permet de penser à l’extérieur de la fausse dichotomie qui oppose « liberté – capitalisme – marché » d’un côté, et « servitude – communisme – planification » de l’autre. Cette opposition cadre le débat de façon telle qu’il n’y aurait que deux options disponibles pour organiser notre économie (l’URSS ou le capitalisme), et conséquemment ne nous permet pas de penser d’autres options radicalement différentes.
Reconnaitre l’existence d’une forme de planification capitaliste implique parallèlement un déplacement dans l’exercice de penser des modèles alternatifs; il ne s’agirait pas de planifier une économie non planifiée, mais bien de démocratiser une économie déjà planifiée afin de la rendre tributaire du bien commun. Voyons brièvement à quoi pourrait ressembler une telle économie.

Trois mesures transitoires

Commençons par proposer trois mesures de transition qui pourraient être adoptées ici et maintenant, et qui permettraient de paver la voie à un changement de système économique[19]. Comme le mentionnent Audrey Laurin-Lamothe et Mathieu Dufour, il faut d’abord implanter une politique nationale du revenu visant à assurer les besoins de base pour toutes et tous. Cette question est relativement simple d’un point de vue économique. En effet, chaque gouvernement dispose déjà des outils nécessaires pour assurer une politique de revenus qui permettrait de satisfaire les besoins de base pour tous, soit la mise en place d’un salaire minimum qui permettrait de sortir complètement de la pauvreté, et l’instauration d’un revenu maximum. Ces mesures pourraient être couplées à une politique de revenu minimum garanti pour briser le lien de dépendance entre la travailleuse, le travailleur et le marché.
Une seconde mesure porterait sur les infrastructures financières. L’objectif serait de nationaliser les institutions privées, d’en démocratiser la gestion et d’en modifier le mandat pour l’arrimer aux objectifs socioécologiques de planification. Quant au réseau des Caisses Desjardins déjà en place, les caisses pourraient suivre le modèle fédératif de façon à ce que chaque communauté ait sa caisse, et l’ensemble serait regroupé en fédérations régionales, puis coordonné par une grande caisse qui ferait office de banque centrale. À l’échelle locale, chaque membre d’une communauté aurait la possibilité de participer aux assemblées générales de sa caisse et de voter sur les projets qui seraient subventionnés par les surplus de la caisse. Des formes de budget participatif seraient ainsi généralisées à l’ensemble de l’économie.
Une troisième mesure viserait à abolir l’incitatif principal de la concurrence capitaliste : le profit. Il faut en effet sortir du système compétitif construit sur la logique du moindre coût, une logique qui entraîne inévitablement une surexploitation des écosystèmes, une dégradation des salaires et des conditions de travail, ainsi que des prix parfois prohibitifs et des marchandises de piètre qualité pour la consommatrice et le consommateur. Une façon d’y arriver au Québec serait d’abolir la forme juridique de l’entreprise à but lucratif[20]. L’entreprise privée serait encore permise (pensons par exemple aux dépanneurs, aux salons de barbier ou à des cafés de quartier), mais l’essentiel des activités économiques serait démocratisé.
En plus de la forme juridique de l’entreprise, sa gestion interne doit être revue afin de redonner un pouvoir décisionnel aux travailleuses et aux travailleurs. Comme la planification capitaliste se caractérise par une séparation entre les tâches d’exécution et celles de direction, il importe de distribuer équitablement ces tâches pour équilibrer le pouvoir décisionnel. La répartition du pouvoir décisionnel viendrait avec une répartition du temps nécessaire à la prise de décisions, et le « temps social total de réunion » n’augmenterait théoriquement pas; il ne serait que réparti parmi plus de travailleuses et de travailleurs. Et c’est tant mieux, car l’abolition de cette division offre à chacun·e la possibilité de participer à la planification des activités de son entreprise et de l’économie dans son ensemble. Cette redistribution du pouvoir décisionnel pourrait s’opérer par la mise en place de deux institutions, soit les conseils d’entreprise et l’assemblée générale.
Comme les entreprises n’auraient plus de « direction » au sens où nous l’entendons actuellement, les conseils d’entreprise seraient composés de travailleuses et de travailleurs libérés pour s’occuper des tâches de gestion courante de l’entreprise. Un poste sur ces comités serait à temps partiel, non cumulable et révocable en tout temps pour assurer une meilleure représentation des différents intérêts en jeu. La gestion de l’entreprise serait donc assurée de façon collective et en rotation par l’ensemble des employé·e·s. Cette façon de gérer l’entreprise permettrait aux travailleuses et aux travailleurs de rester en contact avec la production, d’éviter la spécialisation dans les tâches de gestion ainsi que la professionnalisation politique. On pourrait réserver à cette instance des places pour les clientes et les clients et pour des membres de la communauté, de façon à garder un lien entre les lieux de travail et la communauté dans laquelle ceux-ci s’insèrent.
L’assemblée générale regrouperait quant à elle l’ensemble des travailleuses et travailleurs. Elle serait l’instance décisionnelle suprême : on y adopterait ou refuserait les décisions prises en conseil d’entreprise et on y recevrait les propositions des travailleuses et travailleurs de l’entreprise. L’assemblée se tiendrait de façon régulière (disons une fois par mois), et pourrait avoir lieu de façon extraordinaire sur demande des employé·e·s, pour la révocation d’un élu par exemple.
Ces comités ne décideraient pas à eux seuls de l’ensemble de la vie économique. Les décisions seraient prises par les personnes principalement concernées; on verrait mal des professeures de Montréal dire à des pêcheurs gaspésiens comment travailler, par exemple. Des instances supérieures pourraient assurer la coordination économique à un niveau régional ou sectoriel; les conseils d’entreprise y délègueraient une ou un élu pour les représenter, à la façon de la structure confédérative des mouvements syndical et étudiant. Un troisième niveau pourrait être nécessaire pour coordonner les activités économiques des différentes entreprises et secteurs à l’échelle nationale : appelons cette instance l’assemblée centrale pour le bien de la démonstration.

L’engrenage de la planification démocratique

Parallèlement à ce réseau d’entreprises autogérées, une entreprise dédiée exclusivement à la planification pourrait également être mise sur pied[21] (appelons-là l’agence du plan). Tout comme les autres entreprises, celle-ci serait autogérée et composée de travailleuses et travailleurs issus de différentes spécialisations (techniciens, économistes, comptables, sociologues, informaticiens, climatologues, juristes, par exemple).
Le rôle de l’agence du plan consisterait à élaborer des plans « en série » à partir de propositions reçues des conseils d’entreprise. En amont de l’adoption du plan, elle devrait chiffrer les implications et les conséquences du plan proposé et en faire la présentation à l’assemblée centrale. Plutôt que de fournir l’ensemble des données de l’économie (ce qui représenterait une somme si colossale d’informations qu’elle en serait indigeste pour les comités), l’agence du plan fournirait des scénarios de plans à l’assemblée centrale. En votant sur des scénarios plutôt que de traiter l’ensemble des informations, le travail de l’assemblée serait significativement allégé. En cas de besoin, l’ensemble des informations serait disponible.
L’agence ne déciderait donc pas elle-même du contenu du plan, mais s’assurerait que l’assemblée centrale ait tous les moyens à sa disposition pour prendre la décision la plus éclairée possible. Une fois le plan adopté, l’agence offrirait des données révisées et coordonnerait les ajustements intermédiaires.
L’agence du plan devrait aussi inclure des données environnementales dans les scénarios du plan (par exemple la quantité de GES émis et de ressources utilisées, l’impact sur les écosystèmes, etc.) et s’assurer que le plan ne transgresse pas les limites planétaires telles qu’établies par les scientifiques. L’agence établirait ainsi une sorte de « plafond » que l’activité économique ne pourrait pas dépasser. Elle aurait en ce sens un rôle contraignant, et aurait le pouvoir de refuser une demande qui ne respecterait pas ce plafond, par exemple la construction d’un nouveau pipeline. Il en serait de même pour des scénarios qui ne permettraient pas d’atteindre le « plancher », soit le niveau de production nécessaire à la satisfaction des besoins de toutes et tous[22].
Comme on l’a déjà mentionné, le plan serait constitué par l’agence à partir de propositions des conseils d’entreprise. Celles-ci seraient de deux natures : les capacités de production de l’entreprise prévues par les travailleuses et les travailleurs (soit le temps que le comité serait prêt à travailler), et les intentions de consommation de biens privés des travailleurs[23]. Dans un premier temps, le comité d’entreprise annoncerait combien de temps ses membres seraient prêts à travailler durant la prochaine période du plan. Le temps de travail (agrégé par secteurs) serait transféré à l’agence du plan, et correspondrait aux capacités de production de chaque secteur pour la prochaine période du plan. Cela correspondrait à la quantité de marchandises produites par chaque secteur et disponibles pour la consommation.
Dans un deuxième temps, les intentions de consommation de biens privés devraient également être prises en compte. Ce qui serait annoncé serait des « intentions » de consommation, et non un « droit » de consommation. Cette information permettrait essentiellement aux producteurs d’avoir une bonne idée des intentions de consommation pour diminuer le gaspillage. Si ces intentions sont trop élevées par rapport aux intentions de production (temps de travail), alors la consommation devra être revue en conséquence, et vice-versa. Ce serait la même chose si ces intentions ne sont pas compatibles avec le « plancher » et le « plafond ». Il faut donc prévoir certains allers-retours.
Un dernier niveau de planification serait nécessaire, soit celui des biens publics. L’annonce des intentions de consommation de biens publics se ferait aux échelles supérieures, aux échelles du quartier, du village ou de la région. Par exemple, l’achat d’une table à pique-nique, la construction d’une piscine publique et l’aménagement de nouvelles pistes cyclables pourraient respectivement être décidés à l’échelle de la ruelle, du quartier ou de la ville, soit l’échelle la plus concernée. À l’instar des budgets participatifs, une partie des budgets de chaque plan serait donc allouée à la construction de biens publics. Les membres d’une communauté (ruelle, quartier, village) se réuniraient en assemblée et voteraient sur les projets qu’ils jugeraient les plus adéquats.
Ces intentions de production et de consommation (privées et publiques) seraient reçues par l’agence du plan, qui renverrait de façon agrégée ces informations à l’assemblée centrale qui déciderait du plan à adopter. Certaines itérations auraient lieu entre les conseils et l’assemblée centrale à partir des données fournies par l’agence du plan pour ajuster la donne en cours de route.

Penser maintenant le post-capitalisme

Ces propositions sont certes imparfaites et gagneraient à être bonifiées. Plusieurs nuances et distinctions n’ont pu être effectuées ici, mais ces imperfections ne doivent pas nous empêcher de commencer à réfléchir dès maintenant sur les possibles configurations d’une économie post-capitaliste. Il s’agit d’avancer à tâtons dans un travail collectif davantage que d’attendre un modèle impeccable qui règlerait tous les problèmes.
Si nous voulons effectivement sortir du capitalisme, cela implique de trouver des solutions de rechange. Or, mises à part les proverbiales formules consacrées « d’association de producteurs libres » et de « socialisation des moyens de production », bien peu de révolutionnaires sauraient dire à quoi pourraient bien ressembler les fameux lendemains qui chantent. S’il est nécessaire de continuer à analyser et à critiquer le monde tel qu’il se présente à nous, il est tout aussi impératif de se questionner sur la nature du monde que l’on veut construire. Ces deux tâches doivent être pensées comme les deux faces de la même médaille.
Les échecs répétés de l’économie de marché, l’amplification des catastrophes écologiques, l’accroissement des inégalités socioéconomiques et, plus immédiatement, la crise de la COVID-19 rappellent de façon criante l’urgence de cette tâche.

NOTES
[1] Citons entre autres Trump qui a évoqué le Defense Production Act pour forcer GM à produire des respirateurs : <www.nbcnews.com/politics/donald-trump/trump-invokes-defense-production-act-force-gm-make-ventilators-coronavirus-n1170746>.
[2] Le réseau de la santé en Espagne (www.democracynow.org/2020/3/17/spain_coronavirus), les chemins de fer en Angleterre (www.telegraph.co.uk/business/2020/03/23/railways-have-nationalised-no-turning-back/) et Alitalia en Italie (www.businessinsider.com/alitalia-nationalized-by-italy-history-2020-3).
[3] Leigh Philips et Michal Rozworski font un constat semblable : « Why we need economic planning », Tribune, 31 mars 2020, <https://tribunemag.co.uk/2020/03/why-we-need-economic-planning/>.
[4] Les modèles existants de planification démocratique de l’économie n’ont que très récemment commencé à intégrer les enjeux de reproduction sociale et de racisme (notamment en termes d’échanges inégaux à l’échelle internationale et de rapports avec les Premiers Peuples). Ce travail nécessaire reste à faire, et c’est dans cette perspective que tenteront de s’inscrire mes futures recherches, notamment ma thèse de doctorat.
[5] Au plus fort du stalinisme, les entreprises soviétiques appartenaient toutes à l’État, et aucune monnaie ne circulait entre elles. Voir les écrits d’Alec Nove sur le sujet, notamment Alec Nove, The Soviet Economic System, Londres, Geroge Allen & Unwin, 1977.
[6] Marc Lavoie, Foundations of Post-Keynesian Economics Analysis, Cheltenham (Angleterre), Edward Elgar Publishing, 1992.
[7] On doit tempérer cette dynamique en fonction des nouvelles formes d’accumulation liées à la financiarisation. Comme une part de la profitabilité vient des activités financières des entreprises, la contrainte à la croissance industrielle pèse moins fort.
[8] David McNally, Panne globale. Crise, austérité et résistance, Montréal, Écosociété, 2013, ch. 3.
[9] « Mark-up price » en anglais, Lavoie, 1992, op. cit.
[10] Pour en savoir davantage sur les mécanismes de fixation des prix, on pourra consulter les ouvrages suivants : Frederic S. Lee, Post-Keynesian Price Theory, Cambridge, Cambridge University Press, 1999; Marc Lavoie, 1992, op.cit., p. 129-144; Paul Baran et Paul Sweezy, Le capitalisme monopoliste. Un essai sur la société industrielle américaine, Paris, Maspero, 1968, ch. 5; John Kenneth Galbraith, Le Nouvel État industriel. Essai sur le système économique américain, Paris, Gallimard, 1967, p. 186-204.
[11] Galbraith, 1967, ibid., p. 33-45.
[12] Edward Bernays, Propaganda, Montréal, Lux, 2008; Stuart Ewen, Captains of Consciousness. Advertising and the Social Roots of the Consumer Culture, New York, Basic Books, 2001; Baran et Sweezy,1968, op.cit.
[13] Voir notamment Giles Slade, Made to Break. Technology and Obsolescence in America, Cambridge (MA), Harvard University Press, 2006.
[14] Galbraith, 1967, op. cit., p. 226-240.
[15] Juliet Schor, The Overspent American. Upscaling, Downshifting and the New Consumer, Toronto, HarperCollins, 1999.
[16] McNally, op. cit.; Costas Lapavitsas, Profiting Without Producing. How Finance Exploits Us All, Londres, Verso, 2013, ch. 9.
[17] Lapavitsas, op. cit., ch. 9; McNally, op. cit., ch. 3.
[18] Philip Mirowski, Never Let a Serious Crisis Go to Waste. How Neoliberalism Survived the Financial Meltdown, New York, Verso, 2013.
[19] Les trois mesures proposées ici viennent directement de la note de l’IRIS par Mathieu Dufour et Audrey Laurin-Lamothe, Un projet de planification démocratique pour le Québec, 2020.
[20] Ibid.
[21] Cette institution est directement inspirée de « l’usine du plan » chez Castoriadis. Voir Cornelius Castoriadis, « Le contenu du socialisme II », La question du mouvement ouvrier, tome 2, Paris, Éditions du Sandre, 2012, p. 98-141.
[22] L’idée de « plafond » et de « plancher » est tirée de Kate Raworth, Doughnut Economics. Seven Ways to Think Like a 21st-Century Economist, Londres, Cornerstone, 2018, ainsi que de discussions fort stimulantes avec le Groupe universitaire de recherche sur la planification démocratique de l’économie, un groupe formé autour du Centre de recherche sur les innovations et les transformations sociales (CRITS) de l’Université Saint-Paul.
[23] Cette forme de planification est inspirée des écrits de Michael Albert et de Robin Hahnel sur l’économie participative, ainsi que de ceux de Pat Devine (notamment Democracy and Economic Planning. The Political Economy of a Self-Governing Society, Cambridge, Polity Press, 1988). Voir également Robin Hahnel et Erik Olin Wright, Alternatives to Capitalism. Proposals for a Democratic Economy, New York, Verso, 2016; et Robin Hahnel, Of the People, By the People. The Case for a Participatory Economy, Soap Box Press, 2012.

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