La recherche qui s’enferme dans une tour d’ivoire, très peu pour Florence Piron. La professeure au Département d’information et des communications de l’Université Laval plaide pour une démocratisation profonde de la science. Voilà pourquoi, lors du Forum mondial des sciences sociales, elle [aura braqué] les projecteurs sur la science collaborative et la science citoyenne.
Le 27 septembre dernier, au Centre universitaire de l’Université McGill, une table ronde sur le libre accès aux recherches scientifiques a été organisée dans le cadre du « Dialogue sciences et politiques ». Lorsqu’elle a pris la parole, Florence Piron a poussé beaucoup plus loin que ses collègues, réunis avec elle devant de nombreux étudiants, le concept de transparence. Pour elle, la science ouverte ne devait pas se limiter au partage gratuit des articles scientifiques, mais devait favoriser l’accès libre à tout ce qui constituait « la littérature grise », soit les rapports de recherche, les carnets de laboratoire et les données brutes.
Exiger une telle transformation des pratiques scientifiques constitue une façon, a-t-elle dit, « de résister à la pourriture de la science » engendrée par « la marchandisation du savoir ». Elle a ciblé plus particulièrement les dérives dans le domaine biomédical, en évoquant l’opacité derrière laquelle se sont cachées des recherches universitaires financées par les sociétés pharmaceutiques.
Science citoyenne
Mais, lors du Forum mondial des sciences sociales 2013, le 14 octobre […], la présidente de l’Association science et bien commun [sera allée] encore plus loin dans la démocratisation des milieux de recherche. Si la science ouverte vise à permettre au plus grand nombre de consulter les résultats scientifiques, la science collaborative ou la science citoyenne inclut carrément les non-professionnels dans le processus de recherche.
Avec l’avènement du web 2.0 et la multiplication des plateformes collaboratives, des chercheurs commencent à faire davantage appel à la contribution des citoyens bénévoles dans une perspective d’intelligence collective. Grâce aux nouvelles technologies, les scientifiques du dimanche peuvent désormais donner un sérieux coup de main dans la collecte des données en photographiant ou en repérant des espèces de la faune ou de la flore, par exemple. Mais ils peuvent aussi participer à l’analyse des données.
L’exemple le plus flamboyant demeure sans doute celui du site galaxyzoo.org, mis en ligne en 2007 par des astronomes de l’Université d’Oxford. Les internautes peuvent y suivre un tutoriel leur enseignant comment classer eux-mêmes des photographies fournies par le télescope Hubble. Des amateurs de partout dans le monde trient une masse colossale d’images que les scientifiques n’auraient jamais pu cataloguer en se fiant uniquement à leurs propres moyens.
Recherche-action participative
Dans les sciences sociales, la recherche-action participative intègre carrément les sujets de la recherche dans le processus scientifique. Des itinérants ou des toxicomanes, par exemple, peuvent être étudiés tout en étant consultés sur ce qui sera étudié, sur la méthode qui sera utilisée, sur les outils d’évaluation qui seront employés et sur la manière de diffuser les résultats. Une approche qui tranche avec celle « de simplement aller les voir, leur donner un questionnaire et prendre leurs réponses », a expliqué Mme Piron, en entrevue avec Le Devoir, tout juste après son allocution à l’Université McGill.
Cette démarche scientifique, souvent réalisée dans une optique de justice sociale, tient généralement compte de la voix, de la vision des choses ou de la priorité des personnes marginalisées, tout en incitant les chercheurs à comprendre comment ces personnes pensent et parlent, précise-t-elle.
De plus, la science citoyenne démystifie la culture scientifique auprès de ceux qui sont moins en contact avec elle. « Les gens qui passent par ces expériences ont ensuite une compréhension plus riche de la science, de ses limites et de ses possibilités », a-t-elle constaté.
Contre l’élitisme scientifique
« Ceux qui ont une définition institutionnelle vont dire que la science, c’est uniquement ce qui est publié dans les grandes revues scientifiques évaluées par les pairs. Il y en a d’autres [pour qui] la science, c’est de la connaissance qu’on construit ensemble. Cela veut dire que les chercheurs doivent accepter d’être plus vulnérables, de se faire demander de rendre des comptes, d’être critiqués. »
C’est d’ailleurs pour ces raisons, a-t-elle reconnu, que plusieurs chercheurs craignent de s’aventurer hors de leur zone de confort. Pourtant, de nombreux organismes subventionnent déjà des projets de science citoyenne. Le Conseil de recherche en sciences humaines (CRSH), par le biais de l’Alliance de recherches université-communauté (ARUC), finance spécifiquement des démarches de cet ordre. « Il y a plein de manières possibles de faire de la science. Vous pouvez adhérer à des valeurs plus élitistes et carriéristes, mais l’université, telle qu’elle est faite, est ouverte à autre chose », a dit celle qui répand toujours son message selon lequel une autre science est possible.
Boutique de sciences
L’un des objectifs poursuivis par la recherche-action participative consiste à inclure les préoccupations des non-scientifiques dans l’ordre du jour. C’est d’ailleurs dans cette optique que Florence Piron a aussi mis sur pied Accès savoirs. Cette boutique de sciences, créée à l’Université Laval en 2011 et opérationnelle depuis janvier 2013, permet à des associations, à des groupes de citoyens et à d’autres organismes à but non lucratif, qui ont besoin de connaissances ou de recherches approfondies, d’entrer en contact avec des étudiants de tous les cycles universitaires. Ces derniers répondent à la demande dans le cadre de leur formation. Bien que ce ne soit pas toujours de la recherche scientifique à proprement parler, deux demandes font en ce moment l’objet de thèses de doctorat, a souligné Mme Piron.
Aux critiques qui estiment que cette approche équivaut à jouer le même jeu que celui des entreprises privées en laissant les groupes de citoyens imposer leurs intérêts, Mme Piron rétorque qu’il s’agit justement d’un contrepoids. « Ce sont des groupes qui n’ont pas de pouvoir dans la société et qui ne font pas assez d’argent pour embaucher des chercheurs », a-t-elle justifié.
De plus, la boutique de sciences « éveille les étudiants au transfert de connaissances et leur fait découvrir des réalités qu’ils n’auraient jamais soupçonnées ». De cette façon, celle qui se décrit comme « une grande démocrate » voit dans ce projet une manière pour les citoyens d’orienter et d’influencer la science, plutôt que de laisser son ordre du jour entre les mains de « l’argent, du gouvernement ou de la curiosité personnelle du chercheur ».
Le Devoir, 5 octobre 2013