AccueilNuméros des NCSNo. 18 - Automne 2017Les Algonquins de Lac-Barrière : une communauté de résistance

Les Algonquins de Lac-Barrière : une communauté de résistance

À l’automne 2016, les Algonquins de Lac-Barrière apprenaient que le gouvernement du Québec voulait octroyer des permis à la compagnie minière Copper One pour ouvrir des chemins miniers et entreprendre des forages en plein cœur de leur territoire traditionnel. Cette communauté s’est toujours opposée à ce projet et, en 2017, une campagne de mobilisation s’organise : conférences de presse des chefs algonquins à Val-d’Or, pétition, communiqués, rencontre d’information publique à Montréal. Les Algonquins de Lac-Barrière, au centre de cette mobilisation, ont une grande expérience de résistance et ils sont bien organisés.

 

La petite histoire d’une longue lutte

Leur histoire commence au XIXe siècle. À la suite du déclin du commerce des fourrures, l’exploitation des forêts est devenue la principale activité économique. Ce changement s’est produit au détriment des Anishnabe/Algonquins et de leur mode de vie en forêt. Selon Jean-Maurice Matchewan, ancien chef de la réserve du lac Barrière, l’impact des chantiers forestiers de 1870-1890 a été dévastateur, causant le massacre des animaux par les bûcherons et les braconniers et donc une famine quasi permanente, ainsi que des relations difficiles avec le gouvernement du Québec[2]. Tout cela a entraîné l’appauvrissement du régime alimentaire et plusieurs graves problèmes de santé.

En 1928, à la suite des demandes répétées de la communauté, la province a établi une zone de chasse de 16 600 km carrés exclusivement réservée aux Autochtones (la réserve de chasse du Grand Lac Victoria), mais aucun garde-chasse n’a été engagé, ce qui explique que le braconnage ait continué. Par ailleurs, en 1924, la construction d’une série de barrages sur le lac Cabonga a inondé des domiciles, un cimetière et un territoire traditionnel important.

En 1940, le gouvernement québécois a construit la route provinciale 117, qui relie Montréal et l’Abitibi (le nouveau « Klondike québécois »), en plein milieu du territoire algonquin. Les principaux intéressés n’ont jamais été consultés et, en plus, on leur a interdit de se montrer, de chasser ou de piéger sur 16 km de chaque côté de la route. Entre-temps, un entrepreneur a érigé sur le bord de la route 117 un établissement de chasse et pêche pour touristes (« Le Domaine »). Pour survivre, certains Algonquins sont devenus guides de chasse et se sont installés plus près des touristes, à 40 km du lac Barrière, près du lac Rapide. Leurs enfants ont été envoyés dans les sinistres pensionnats, ce qui a créé un vide socioaffectif dans la communauté. Dans les années cinquante, l’église et le comptoir de la Compagnie de la Baie d’Hudson ont été déplacés vers le lac Rapide, où le gouvernement fédéral a fait bâtir un centre de santé et une école. En 1961, la réserve de Lac-Rapide a été officiellement créée par décret provincial[3].

En 1991, après des années de blocages routiers, de manifestations et de batailles légales, les Algonquins de Lac-Barrière/Lac-Rapide ont signé avec les gouvernements du Québec et du Canada une entente visant à préparer un plan d’aménagement intégré des ressources renouvelables (la forêt et la faune), et ce, sans céder leurs droits territoriaux ancestraux (contrairement à la Convention de la Baie-James et du Nord québécois). Mais l’entente n’a jamais été appliquée[4].

 

Une vision à long terme

Les Algonquins de Lac-Barrière se considèrent comme les protecteurs de leur territoire. Leur philosophie, c’est que le territoire appartient aux générations futures, pas seulement à eux-mêmes. Dans cet esprit, leur souhait est de partager équitablement les responsabilités de gestion du territoire dans le respect et la reconnaissance de leur identité culturelle et de leur langue, et ce, avec tous les utilisateurs et utilisatrices. Lors de mon passage en 2013, j’ai pu constater que plusieurs personnes utilisaient l’algonquin comme langue d’usage. Selon Michel Thusky, qui parle algonquin, français et anglais, il s’agit d’un « bienfait collatéral » des pensionnats indiens. En effet, le gouvernement fédéral a envoyé une partie des enfants de Lac Barrière au pensionnat catholique français de Saint-Marc-de-Figuery, au nord d’Amos, et une autre partie à l’école protestante anglophone de Spanish en Ontario, en séparant souvent les enfants d’une même fratrie. Les enfants, lorsqu’ils revenaient chez eux, voulaient bien sûr jouer ensemble. Alors, pour communiquer, ils n’avaient d’autre choix que de parler algonquin. Une histoire à suivre…

 

 

 

 

Solidarités

 

La communauté de Lac-Barrière est appuyée dans ses démarches par un regroupement non autochtone appelé Solidarité Lac-Barrière[5], composé principalement de militants et de militantes d’Ottawa, de Montréal et de Toronto. Ce regroupement a entre autres pour rôle de faire le lien avec la société civile canadienne et québécoise. En janvier dernier, plusieurs organisations sont allées sur place pour voir les dommages causés par la compagnie Copper One. En 2013, une visite semblable avait été réalisée pour montrer les dommages récents causés à la forêt par les coupes sauvages de la multinationale Produits forestiers Résolu. Peu de réserves font appel à la solidarité de la société allochtone de façon aussi organisée que la communauté de Lac-Barrière.

 

 

Geneviève Beaudet[1]

 

 

[1]  Ex-responsable de la Commission thématique Droits des nations autochtones de Québec solidaire et militante pour la cause autochtone.

[2] Jean-Maurice Matchewan, « Les Algonquins du Québec », dans Boyce-Richardson (dir.), Minuit moins cinq sur les réserves, Montréal, Libre expression, 1992, p. 116.

[3] La communauté de 712 habitants est située dans le parc de La Vérendrye, à quelques kilomètres de la route 117 et du « Domaine », sur les rives du lac Rapide, d’où son nom officiel Réserve Lac-Rapide. Les habitants par contre s’appellent Algonquins de Lac-Barrière (traduction de Mitchikanibokok Inik, ce qui veut dire « les gens du barrage de pierre », à cause de la petite barrière de roches érigée pour attraper les poissons sur le bord du réservoir Cabonga).

[4] Un film documentaire intitulé Tenez votre parole a été réalisé sur le sujet par Martha Stiegman, Productions Multi Monde, 2015, 59 min, <http://honouryourword-film.ca/>.

[5] Le site de Solidarité Lac barrière : <http://solidaritelacbarriere.blogspot.ca/>.

 


 

 

Ce texte est paru dans le nu 18 des Nouveaux Cahiers du socialisme.

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