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INFOLETTRE des NCS

avril 2018
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Pourquoi La Grande Transition ?

Pierre Beaudet, NCS

On le sait, le capitalisme est dans une crise majeure, qu’on appelle parfois une « crise de crises ». Les effets délétères du néolibéralisme, qui s’accumulent depuis 30 ans, mènent l’ensemble du circuit vers de sérieuses impasses. Le « phénomène » Trump, souvent présenté comme une excentricité ou un « accident » devrait plutôt être compris comme la traduction politique de cette impasse. Les tentatives en cours pour « réparer les dégâts » semblent en réalité autant de trucs et d’astuces pour mettre au monde un néolibéralisme 2.0, avec les mêmes déterminants : l’accumulation par la dépossession (comme l’explique David Harvey), la lente et irrésistible destruction des communs couplée à l’assaut continu contre l’environnement, les fractures immenses qui se creusent entre le 1 % et les 99 %, notamment. Et tout cela sur un paysage marqué de contradictions qui résultent du déclin de l’« empire » américain, avec tous les soubresauts économiques, politiques, militaires que l’on connaît. Alors, à un premier niveau, la grande transition, c’est celle qui s’impose dans un monde à la dérive où se croisent plusieurs crises, d’où l’impression d’être dans un monde qui a perdu son « sens », qui régresse vers les formes crues du sexisme, du racisme, de la haine des classes populaires.

De nouvelles résistances

Cette crise, ou cette crise des crises, n’est pas un hasard ni le résultat « naturel » d’un capitalisme qui serait programmé d’avance. Des résistances, il y en a toujours eu, des grandes et des petites, des grains de sable qui ont enrayé les grandes machines, mais aussi des irruptions populaires et démocratiques qui ont déstabilisé en profondeur le dispositif du pouvoir. Aujourd’hui, quelque chose, encore un peu indéfini, encore fragmentaire, encore hésitant, est en marche. Il y a d’abord un grand refus : on ne « les » croit plus. D’un bout à l’autre de la planète, les dominants sont discrédités. Ils perdent de grandes batailles culturelles, leur hégémonie se fissure. Et il y a ensuite la montée d’une auto-affirmation, d’une subjectivation de nouveaux secteurs des classes populaires, dont les femmes, les jeunes, les racisé-e-s, immigrant-e-s et réfugié-e-s, sans compter la multitude des précaires, ce « nouveau » prolétariat du 21e siècle. Tout cela bouillonne d’énergie, d’imagination, de courage. En même temps, les révolté-e-s du printemps arabe, les Indignados, les Occupy, les Carrés rouges et tous les autres se cherchent, explorent, avancent et reculent. C’est une guerre de position, terriblement complexe, terriblement patiente, terriblement exigeante. Les secteurs en lutte ont l’immense tâche de construire un bloc hégémonique, une force populaire auto-organisée, capable de converger.

Ne pas répéter les erreurs du passé

Dans un passé pas si lointain, les secteurs les plus importants de la gauche voyaient les choses un peu en rose. Le capitalisme allait s’écrouler, sinon lundi matin, peut-être le mois prochain. Les grandes coalitions de gauche allaient triompher. La victoire était inévitable. En même temps, les gauches ne voyaient pas venir le monstre, le trou noir du fascisme, du militarisme, du tout-le-monde-contre-tout-le-monde-isme. On ne pouvait pas concevoir que les masses allaient se déchirer, de même que leurs organisations et leurs partis. On ne pouvait pas imaginer non plus que le capitalisme allait se « relooker », faire juste assez de compromis pour empêcher le basculement vers la transformation et accepter les recettes de Keynes pour délaisser l’héritage de Marx ! Avec un mélange de catastrophisme, d’arrogance et d’ignorance, de grands mouvements populaires se sont disloqués. Alors aujourd’hui, on se dit, « on ne fera pas les mêmes erreurs »…

Le jour se lève

À l’échelle du temps long (celui qui dépasse la vie des papillons que nous sommes), le monde arrive à un point tournant : la « barbarie » ou la réinvention, pour paraphraser Rosa Luxemburg. Immédiatement et tous les jours, on peut avoir l’impression de piétiner, même de reculer. Avec une certaine distance, il faut regarder cela autrement. Sous la bannière de l’altermondialisme, de l’écologisme, du féminisme se construit un nouveau projet que tous les Trump de ce monde ne peuvent détruire, même s’ils continuent d’aggraver leur « austéritarisme » et de « gagner » leurs élections pourries. On continue, on apprend à éviter les solutions faussement magiques, l’avant-gardisme, le sectarisme et tous ces projets illusoires qui ont voulu se faire « au nom du peuple » avec les impasses que l’on a constatées. L’autoéducation, l’autoformation, l’auto-organisation, à travers un riche tissu de mouvements populaires, restent incontournables, avec la construction des convergences. Celles-ci ne sont pas une illusoire fusion derrière un seul grand drapeau et derrière une seule cause sacrée, mais la rencontre des multi-identités militantes, celles de l’émancipation, de la dignité et de la solidarité.

À ne pas manquer à La Grande Transition

Nous serons plusieurs des NCS à la Grande Transition à discuter émancipation, hégémonie, post-capitalisme. Voici quelques thèmes qui seront abordés lors de sessions qui devraient vous intéresser.

Mouvements populaires et transformation

  • Comprendre et faire face à la droite populiste ? (19 mai, 9h30)
  • Les grands défis des syndicats du secteur public (18 mai, 11h30)
  • L’action politique des mouvements sociaux (19 mai, 9h30)
  • Les partis politiques et leurs stratégies de transition (19 mai, 14h00)
  • Les syndicats et les changements sociaux radicaux (19 mai, 14h00)
  • Stratégies de luttes au 21e siècle (19 mai, 19h30)

Transition post-capitaliste

  • Les expériences de gouvernement de la gauche radicale (19 mai, 9h30)
  • Un gouvernement socialiste ou la politique des communs ? (20 mai, 9h30)
  • Avant le post-capitalisme : mener la lutte avec un front uni (20 mai, 11h30)
  • Penser le monde après le capitalisme (20 mai, 14h00)

Prenons la ville

  • Politique municipale et luttes urbaines (19 mai, 11h30)
  • Luttes urbaines à travers le monde (19 mai, 14h00)
  • Le municipalisme radical : l’expérience de Montréal (20 mai, 9h30)
  • Le municipalisme comme stratégie de transformation sociale (20 mai, 11h30)

Le défi écologique

  • Les mouvements écologistes au Québec et au Canada (18 mai, 16h00)
  • Transition écologique : réforme ou révolution ? (19 mai, 16h00)
  • La décroissance, un projet de gauche pour notre époque (20 mai, 11h30)
  • Est-ce que les socialistes peuvent traiter d’écologie (20 mai, 9h30)

Théories critiques

  • Penser notre monde avec Gramsci et Poulantzas (18 mai, 14h00)
  • Philosophies critiques et luttes anticapitalistes (18 mai, 16h00)
  • Marx après Lénine (20 mai, 9h30)
  • Marx et l’avenir de la théorie de la valeur (20 mai, 9h30)

L’avenir du passé

  • Utopies socialistes et anarchistes (20 mai, 11h30)
  • L’activisme transnational et l’Internationale communiste (20 mai, 11h30)
  • Ce qui a changé le 25 octobre 1917 : leçons du contrôle ouvrier (20 mai, 9h30)

Le capitalisme réellement existant

  • Comment l’économie domine nos vies ? (17 mai, 19h30)
  • Capitalisme et santé : hégémonie et contre-hégémonie (18 mai, 9h30)
  • Guerre, impérialisme et ordre global (18 mai, 14h00)
  • Crise, fin ou continuité de l’impérialisme américain ? (18 mai, 14h00)
  • Financiarisation, crise financière, endettement (18 mai, 16h00)

États-Unis

  • Penser la situation américaine aujourd’hui (19 mai, 14h00)

Luttes nationales

  • Indépendance et socialisme au Québec et en Catalogne (18 mai, 11h30)
  • Race, réification coloniale et capitalisme (18 mai, 9h30)
  • Québec, Écosse et Catalogne : la gauche radicale (19 mai, 16h00)

Solidarités et internationalismes

  • L’altermondialisme et le Forum social mondial (18 mai, 9h30)
  • Internationalisme et nationalisme (19 mai, 11h30)
  • Affronter le néolibéralisme dans la périphérie (19 mai, 9h30)
  • L’internationalisme syndical aujourd’hui (19 mai, 11h30)

Féminismes de tous les combats

  • Perspectives féministes matérialistes et intersectionnelles (18 mai, 11h30)
  • Féminisme, antiracisme et luttes de classes (18 mai, 19h30)
  • Féminisme, politiques identitaires et luttes de classes (19 mai, 9h30)
  • Féminismes, décroissance et post-capitalisme (20 mai, 11h30)

L’élan autochtone

  • État colonial canadien et résistance autochtone (18 mai, 9h30)
  • Résurgence économique autochtone (19 mai, 11h30)
  • État, propriété et colonialisme (19 mai, 11h30)
  • L’élan autochtone (20 mai, 9h30)
Michael Brie - Portrait

Les défis de la transformation

Michael Brie[1]

Le capitalisme transforme les biens de base associés à la production de la vie et de l'échange le travail, la nature, l’argent et la culture en marchandises et subordonne l’économie et la société à l’accumulation du capital. Vu de cette perspective marxiste, le capitalisme est inconciliable avec l’émancipation et l’autodétermination démocratique. Les impératifs de la société de marché capitaliste contredisent la démocratie sociale et écologique. Cette incompatibilité entre capitalisme et liberté engendre les tendances autoritaires, impérialistes et fascistes associées aux sociétés capitalistes, ainsi que le caractère prédateur des sociétés capitalistes envers les membres les plus faibles de la société.

L’autre côté des transformations opérées par le capitalisme consiste en la possibilité de combiner de manière toujours nouvelle les conditions de production et de reproduction, en révolutionnant de façon permanente la société et en mettant en mouvement un processus d’innovation sans fin. Paraphrasant Joseph Schumpeter, on pourrait parler de création destructrice.

C'est de cette nature ambivalente du capitalisme qu’est née la double tâche de transformation. Premièrement, il faut surmonter le caractère exploiteur, oppressif et destructeur de la société capitaliste, tout en créant simultanément des formes qui transcendent la capacité de développement des sociétés modernes sous une forme solidaire, démocratique et écologique. Deuxièmement, il faut envisager une transformation se produisant dans, mais également, au-delà du capitalisme. Il s'agit de combiner la transformation vers un capitalisme socialement et écologiquement réglementé avec le début d’une deuxième grande transformation qui nous emmène au-delà du capitalisme.

Trois formes de transformation

Depuis le début, il y a toujours eu trois approches pour surmonter le capitalisme. Le premier courant a commencé avec Babeuf et le chartisme. Le pouvoir politique devait être capté à travers l’insurrection (Babeuf, Blanqui) ou les élections (chartisme) afin d’initier une reconfiguration des rapports de propriété, et finalement de la société dans son ensemble.

Un deuxième courant, qui devint influent grâce à Robert Owen et au mouvement coopératif britannique, également grâce aux partisans de Fourier et de Cabet, plaça sa foi dans la force exemplaire. Des établissements humains, organisés selon les principes socialistes (coopératives de producteurs et de consommateurs, banques de travailleurs, logement coopératif, institutions culturelles et éducatives) devaient servir d’incubateurs d’une nouvelle société. Des changements concrets dans les circonstances de sa propre vie, l’autotransformation, la solidarité pratique et la démocratie devaient démontrer qu’il existe des alternatives au capitalisme, de loin supérieures au capitalisme.
Enfin, un troisième courant s’est concentré sur des réformes fondamentales, à lutter pour améliorer la vie dans le capitalisme (Lassalle et Bernstein). Ce courant commença par la lutte pour la journée de dix heures, puis de huit heures (une demande formulée par Owen). Plus tard, ce courant a abordé les droits sociaux, l’éducation, la santé et l’environnement.

En discutant de ces trois courants, le chercheur marxiste Erik Olin Wright parle de stratégie de rupture, interstitielle et symbiotique[2]. Pour lui, ces alternatives fonctionnent et sont de loin supérieures au capitalisme.

Selon moi, la transformation socioécologique ne réussira à provoquer la chute du capitalisme des marchés financiers que si elle s’avère capable de poursuivre simultanément les trois stratégies, opérant au moyen d’alliances larges et d’approches qui se renforcent mutuellement, plutôt que de s’opposer à chacune. Quand il devient clair que les réformes exigent une rupture, les semences mises en place par les luttes pour réformer le système ne peuvent se répandre que si des ruptures créent les conditions requises de sorte que les expériences concrètes rayonnent vers l’extérieur, donnent aux gens la force de lutter avec la plus grande détermination. C’est le seul moyen de créer une alliance suffisamment large et de développer les conditions subjectives et objectives d'une transformation véritablement profonde.

Quatre voies

Au sein de cette crise organique du capitalisme des marchés financiers, cinq scénarios sont en train d’émerger, déterminant les paramètres spatiaux et temporels à partir desquels la gauche doit travailler.
  • Premièrement, il y a le scénario de continuité, le « business as uusal », avec la mise en place d’un néolibéralisme aux tendances autoritaires. C'est actuellement le consensus qui domine au sein des élites.
  • Deuxièmement, c’est un prolongement du premier scénario, où les tendances autoritaires, répressives et d’exclusion du capitalisme se renforcent. Le résultat serait une « forteresse Europe », où divers bastions rivalisant les uns avec les autres. On observe déjà des tendances vers un tel développement dans plusieurs pays européens. La montée des forces populistes, nationalistes et fascistes indique la possibilité d’une alliance entre les sections de l’élite nationale et certains segments de la population.
  • Troisièmement, l’accumulation est relancée, en partie grâce aux énergies renouvelables et l’augmentation de l'efficacité écologique des modes de production, de transport et de vie. Des considérations de sécurité peuvent également stimuler un tournant vers ce type de « capitalisme vert ».
  • Quatrièmement, on envisage de s’attaquer à la fois aux problèmes écologiques et aux nouveaux problèmes sociaux, en animant un Green New Deal sociolibertaire. Le mode d’accumulation et le régime réglementaire seraient transformés en incluant une redistribution et une rupture structurelle financée par l’État et supervisée publiquement. Une partie de cette approche serait un appel à un « plan Marshall » mondial. Des mesures en faveur d’un tel changement de cap sont en cours d'élaboration, entre autres, par des représentants syndicaux.
  • Un cinquième scénario serait la combinaison d’un New Deal vert avec l’essor d’une perspective focalisant sur la défense des communs et la démocratie au-delà de. Les communs gouvernés démocratiquement deviendraient le fondement « communiste » de la liberté et de l'égalité, où les droits humains seraient bien plus que de simples revendications[3].
NOTES
  1. Chercheur à l’Institut d’analyse sociale critique de la Fondation Rosa Luxemburg et militant du parti Die Linke. Brie prendra la parole à la conférence La Grande Transition.
  2. Erik Olin Wright, Utopies réelles, Paris, La Découverte, 2017.
  3. Michael Brie, « Concrétiser le bien commun de l'humanité Pour une vie en solidarité », dans: Un paradigme post-capitaliste: Le bien commun de l'humanité, Bruxelles, Fondation Rosa-Luxemburg, 2012.
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Décoloniser le « nous » de la gauche souverainiste[1]

Rosa Pires[2]

La gauche a longtemps parlé de classes sociales en omettant que la division du travail a un sexe (on a qu’à penser au travail domestique des femmes). Malgré les luttes pour son intégration dans la sphère publique, la catégorie universelle de classe ouvrière ignorait ce travail en le maintenant dans la sphère privée. Aussi, pour appréhender les réalités citoyennes de manière plus multidimensionnelle, il faut non seulement regarder de plus près les angles morts laissés par les traditions de la gauche, mais aussi cesser de confondre l’ouverture à l’« autre » avec la charité, voire la tolérance. À elle seule, la classe sociale ne peut tenir comme seul gage d’émancipation citoyenne, elle a besoin d’intersectionnalité[3].

Le racisme et l’hétérosexisme sont des bêtes bien trop intelligentes pour ne pas savoir s’adapter à leur époque. Avec l’arrivée du néolibéralisme, l’expulsion de l’« autre » emprunte divers visages, dont celui de l’islamophobie. La méritocratie reproduit les mêmes formes de hiérarchisation, peu importe la nature de discrimination exercée. Des femmes comme Lise Payette, qui ont pourtant lutté toute leur vie contre le patriarcat « canadien-français » et qui ont fait faire des pas de géant au féminisme québécois, en sont venues à défendre un « nous féministe », selon lequel il faut se dissoudre dans les valeurs de la « majorité » pour pouvoir bénéficier de l’universalité du système public. Dans ce « nous féministe », seules les détentrices de « civilisation » peuvent concourir à être des « vraies » Québécoises et c’est l’absence de signes religieux ostentatoires qui est devenue le nouveau baromètre de cette québécitude.

Lorsque les États, maris, imams ou curés, comme des nationalo-féministes, se comportent comme les propriétaires du corps des femmes racisées ou portant le hijab, soit en parlant en leur nom, soit en voulant les sauver, voire même à les exclure de la fonction publique québécoise parce qu’elles portent des signes ostentatoires, c’est que les moyens d’appropriation du corps des femmes sont encore à l’œuvre.

Quotidiennement celles que l’on a jadis désignées comme des Québécoises issues de l’immigration sont aujourd’hui traitées comme des immigrantes, des « brunes sans nom » qui ne cadrent plus avec un « nous » blanc, francophone et héréditaire. Certains intellectuels qui s’autoproclament de la « majorité historique » à qui l’on offre des tribunes populistes ont envahi l’imaginaire collectif pour s’assurer de la reproduction du métarécit de la nation héritée, en se souciant peu des répercussions sur la vie des immigrantes et des immigrants, de leurs enfants, voire des quatrièmes générations issues de l’immigration. Les discriminations fondées sur les origines et le sexe ne s’avèrent pas temporaires ou isolées, même si elles sont plus virulentes quand on les légitime ouvertement, notamment durant des périodes que l’on peut qualifier d’« identitaires » (après le référendum de 1995, lors des débats entourant les « accommodements raisonnables » et la « Charte des valeurs »).

Le piège du « nous »

Quand nous réfléchissons au « nous » québécois en termes de « majorité historique », les procédés permettant de hiérarchiser les pouvoirs entre majoritaires et minoritaires apparaissent clairement. Le corps de « référence » » est canadien-français à l’origine et tout le reste, peu importe la sauce proposée, a l’obligation de s’y greffer. L’identité canadienne-française y est présentée comme statique, immuable, et toute tentative de mobilité la ramène à sa condition de nation fragile. Une fragilité dont elle se réclame, mais qu’elle ne sait pas encore reconnaître à l’« autre ».

Quant aux théoriciens du multiculturalisme et de l’interculturalisme qui animent les débats sur la diversité au Québec/Canada, ils encouragent la dichotomie nous/eux, voire nous/elles. C’est une approche non moins néolibérale, qui laisse en marge une quantité considérable de citoyens et de citoyennes du « nous ». Considérées depuis trop longtemps comme des « problèmes », les Québécoises de deuxième génération issues de l’immigration, par exemple, ne sont pas mises à contribution dans la production des savoirs où elles se positionnent comme des traits d’union. Des milliers d’entre nous, disons les « non-Canadiens-français de souche », sont ainsi ignorés, effacés des théories de l’imaginaire politique, mais aussi des écrans culturels qui sont les producteurs du « nous » québécois.

Vivre ensemble ?

C’est une chanson connue que de revenir sur les taux de chômage des communautés noires et maghrébines au Québec. Moins connu est le fait que la plupart des personnes qui œuvrent comme recruteurs dans le champ des ressources humaines sont enclines à engager des Québécoises et des Québécois issus de la majorité[74]. Et puis, à ceux qui applaudissent le fait que les instances publiques sont celles qui exercent le moins de discrimination à l’embauche, il faut rappeler que lorsqu’on saccage l’État social, il n’y a plus d’embauches et que les premières à partir sont souvent celles qu’on a embauchées en dernier. Ces répercussions sont loin d’être seulement idéologiques.

La réflexion sur l’émancipation nationale québécoise est étroitement liée au processus de construction du « nous ». Ce manque d’imaginaire se comporte comme si le métissage de nos identités et de nos histoires n’avait jamais eu lieu. Le « nous-autres » échappe non seulement à la réflexion collective d’un avenir du bien commun, mais ignore volontairement des savoirs découlant de Québécoises et de Québécois qui ont pour vocation d’être des passerelles entre les communautés et les cultures.

Le défi pour Québec solidaire

Le projet de Québec solidaire ne peut échapper à ces réflexions. En proposant à toutes les citoyennes et citoyens de participer à l’élaboration d’un nouveau « contrat social » ou de ce que l’on nomme la Constituante, il faudra non seulement prendre le temps de décoloniser ce « nous », mais également démontrer que les rapports de pouvoir peuvent être réellement transversaux. Québec solidaire devra s’assurer que sa propre maison continue de relever le défi de la parité homme-femme, mais aussi celui d’une plus grande diversité des « savoirs », même quand ces savoirs dérangent le « nous » du camp majoritaire.

Cela exige des remises en question profondes. D’abord, il faut se départir du récit des « deux peuples fondateurs », des « deux solitudes » et de la « loi sur les Indiens ». Nous savons que le tracé des frontières politiques et économiques a eu lieu sous le signe de l’esclavage et de génocides. Dans un deuxième temps, il faut mettre en œuvre des politiques de reconnaissance qui provoquent le déplacement de la « ligne de couleur » maintenant matériellement l’autre dans la pauvreté. En somme, le partage de la richesse proposé par la gauche ne saurait être réel sans une prise de conscience de la majorité. Il faut se regarder dans le miroir et assumer ses responsabilités, notamment par rapport au génocide honteux qui se poursuit par le biais de l’assassinat de milliers de femmes autochtones.

NOTES
  1. Texte publié dans le no 15 des NCS, Les territoires de l’art, 2016.
  2. Rosa a été candidate de Québec solidaire dans la circonscription de Verdun (2014) et porte-parole femme dans Crémazie.
  3. Selon Kimberle Crenshaw, « le concept d’intersectionnalité postule que les modèles classiques d’oppression (classe, race, sexe…) forment un système d’oppression où ces multiples ensembles de discrimination se chevauchent et s’influencent », On Intersectionality. The Essential Writings, New York, New Press, 2015.
  4. Paul Eid, Mesurer la discrimination à l’embauche subie par les minorités racisées dans le Grand Montréal, Montréal, Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2012.
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De tous les mouvements sociaux modernes, le syndicalisme est celui qui a favorisé l’organisation du plus grand nombre de personnes; c’est là une des raisons pour privilégier, dans ce dossier du numéro d’hiver des Nouveaux Cahiers du socialisme, une perspective davantage « mouvementiste » du syndicalisme. Celui-ci a pour tâche de voir au-delà de la défense des salariés-e-s qu’il représente traditionnellement, s’il espère recréer une identité rassembleuse, en s’appuyant sur les collectivités agissantes et les luttes contemporaines. Ces dernières s’inscrivent dans la résistance à l’exploitation capitaliste et aux mesures austéritaires. Le dossier comporte quatre sections : analyse des défis contemporains, étude comparative du syndicalisme des Amériques, rappel de luttes inspirantes et avenues pour sortir le syndicalisme de son marasme et reprendre la voie de l’offensive.
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