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L’éducation et les Autochtones au Québec : enjeux et défis

Nancy Wiscutie-Crépeau, Nouveaux Cahiers du socialisme, no. 26, automne 2021

Candidate au doctorat à la Faculté d’éducation de l’Université d’Ottawa[1]

Le but de cet article consiste à porter un regard sur l’éducation autochtone au Québec, depuis la scolarisation obligatoire jusqu’à la mise en place d’un système éducatif au sein des communautés. Nous survolerons l’organisation scolaire autochtone (primaire et secondaire) au Québec, notamment la place et le statut des langues autochtones dans le programme du ministère de l’Éducation. À la suite de notre analyse, nous mettrons en exergue certains enjeux et défis en éducation, et proposerons des pistes d’avenir dans une perspective de décolonisation et de réconciliation et en prenant appui sur certains principes fondateurs en éducation autochtone.

La scolarisation des Autochtones au Québec : un bref historique

Avant la Confédération, la scolarisation des Autochtones en Nouvelle-France est assurée par les communautés religieuses auprès des jeunes filles abénaquises, innues et wendates ainsi que par le Collège des jésuites à Québec fondé en 1636[2]. Les missions religieuses mettaient l’accent sur la francisation des « jeunes sauvages ». Au Québec, les premières écoles dans un village autochtone virent le jour à Lorette (1792), Odanak (1803), Kahnawake (1826) et Akwasasne (1835). Au nord de la vallée du Saint-Laurent, le père La Brosse (1724-1782) eut l’occasion d’alphabétiser les Innus dans leur langue à l’aide d’écrits religieux. Puis, d’autres écoles, notamment chez les Innus, les Atikamekw Nehirowisiw et les Anicinapek[3] furent fondées.

Le développement des industries forestière, ferroviaire et minière amène graduellement la transformation du prélèvement des ressources naturelles en un système d’exploitation par l’arrivée massive de populations d’origine européenne. Les peuples autochtones deviennent un obstacle au développement économique et leur sédentarisation par la création des réserves a permis de s’approprier leurs territoires[4]. Un vaste projet d’assimilation des Autochtones à la majorité, amorcé avant la Confédération, permettra au gouvernement fédéral de se donner la légitimité de retirer aux parents autochtones la responsabilité légale de leurs enfants, sous prétexte qu’il fallait isoler ces derniers de l’influence « néfaste » de leur culture et leur enseigner les valeurs et les connaissances dont ils auraient besoin pour « s’intégrer » à la société canadienne[5]. Au  moment où l’éducation des enfants autochtones devient obligatoire au Canada, en 1920[6], le sous-ministre des Affaires indiennes Duncan Campbell Scott déclarait sans détour à la Chambre des communes sa volonté de poursuivre ce travail d’assimilation jusqu’à ce qu’il n’y ait plus aucune « question indienne » au Canada[7].

Le système des pensionnats autochtones, instauré par l’intermédiaire du clergé et du ministère des Affaires indiennes, se met en place plus tard au Québec parce que la fréquentation scolaire des enfants âgés de 6 à 14 ans n’y est obligatoire qu’en 1943[8]. Contrairement aux autres provinces, aucun traité n’avait été signé au Québec. Les traités impliquaient la mise en place de services éducatifs et l’implantation d’écoles destinées aux enfants indiens[9] vivant dans les réserves[10]. Le retard du Québec peut aussi s’expliquer par la réforme de la Loi sur les Indiens de 1951 qui prônait l’abolition des pensionnats et l’intégration des enfants indiens dans les écoles provinciales. Cependant, les Oblats ont milité en faveur de la création d’internats au Québec, considérant que les écoles provinciales n’étaient pas outillées pour accueillir les élèves autochtones. Ainsi, six établissements ont reçu des enfants entre 1934 et 1980 : deux pensionnats à Fort George[11] (un anglican, de 1934 à 1979, et un catholique, de 1936 à 1952) ; trois pensionnats catholiques, à Sept-Îles (1952-1967), près d’Amos (1955-1972) et à Pointe-Bleue[12] (1957-1965), un pensionnat anglican à La Tuque (1962-1980). Chez les Inuit[13] au Nunavik, le gouvernement fédéral reconnaît en tant que pensionnat quatre foyers fédéraux non confessionnels : ceux de Port Harrison à Inukjuak (1960-1971), de Great Whale River à Kujjuaraapik/Whapmagoostui (1960-1970), de Payne Bay à Kangirsuk (1960-1962) et celui de George River à Kangirsualujjuaq (1960). La langue d’enseignement des pensionnats catholiques était le français, et l’anglais celle des pensionnats anglicans. L’usage des langues autochtones y était interdit, sauf à de rares moments, pour les prières et les chants religieux[14]. Ces écoles se conformaient au programme scolaire provincial. La discipline stricte, voire violente, était le lot quotidien des enfants.

En somme, ces écoles ont amené les élèves à apprendre le français ou l’anglais et à devenir fonctionnels dans la société moderne, mais « la conséquence globale reste une perte des compétences linguistiques[15] », ainsi qu’une rupture entre les générations. Les impacts intergénérationnels causés par la violence, les différents types d’abus et la négligence subis par les élèves ont encore aujourd’hui de lourdes conséquences sur les familles[16]. Les parents ont perdu non seulement leur capacité à transmettre leur langue [autochtone] à leurs enfants, ils ont aussi perdu confiance en leur capacité de l’utiliser efficacement et d’engager des interactions pour construire un lien d’attachement[17].

Environ 150 000 enfants autochtones ont été pensionnaires dans les 139 pensionnats implantés au Canada, dont 13 000 au Québec[18]. Le dernier pensionnat aurait fermé en Saskatchewan en 1996. Les excuses publiques présentées aux anciens élèves par le premier ministre Stephen Harper au nom du gouvernement fédéral et des Canadiens en juin 2008 nous rappellent que les politiques assimilatrices qui ont ciblé spécifiquement les enfants autochtones ont façonné les rapports qu’entretiennent encore aujourd’hui les parents et les enfants autochtones avec l’école[19].

L’organisation scolaire autochtone au Québec

Le système éducatif autochtone au Québec date d’à peine quelques décennies et son organisation ne constitue pas un tout homogène. D’une part, il y a des commissions scolaires et des écoles conventionnées, d’autre part, des écoles de bande[20], dont plusieurs sont regroupées dans des organismes autochtones à vocation éducative[21]. Cette organisation scolaire s’est amorcée à l’époque de la publication en 1972 de La maîtrise indienne de l’éducation indienne, déclaration de principe de la Fraternité des Indiens du Canada[22] faisant état de la volonté des Premières Nations de prendre en charge l’éducation de leurs enfants, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des communautés, dans quatre domaines : la gestion des écoles, les programmes et la langue d’enseignement, les enseignants ainsi que les services. Cette volonté de contrôler l’éducation dépassait celle de la gestion des écoles : les communautés voulaient former des maîtres autochtones capables d’enseigner les disciplines scolaires en langue autochtone.

La signature de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois en 1975 amène la création des commissions scolaires crie et Kativik, la Convention du Nord-Est québécois en 1978, celle de la seule école naskapie. Ces deux commissions scolaires sont gérées par les Cris et les Inuit en vue d’assurer les services éducatifs au préscolaire, au primaire et au secondaire ainsi qu’à l’éducation des adultes sur leurs territoires[23]. Outre ces commissions scolaires, deux autres instances autochtones regroupent au Québec la majorité des écoles des communautés et se sont dotées de services éducatifs. Le Conseil en éducation des Premières Nations (CEPN), fondé en 1985, regroupe 22 communautés et offre des services bilingues, en français et en anglais, afin de soutenir la mise en place d’un système d’éducation qui respecte la culture, les valeurs, les traditions et les langues des communautés[24]. L’Institut Tshakapesh, fondé en 1978, offre des services éducatifs à sept des neuf communautés innues dans une visée de préservation de leur langue et de leur culture. La Loi sur les Indiens établit que le gouvernement fédéral s’occupe de l’éducation des Premières Nations, même si l’éducation est une responsabilité provinciale. Selon les ententes, Services aux Autochtones Canada (SAC) assurent aux conseils de bande le financement de l’éducation afin d’appuyer les services éducatifs destinés aux enfants indiens inscrits vivant dans les réserves ou dans les établissements[25].

Il semble que le gouvernement fédéral investisse moins d’argent dans l’éducation des Premières Nations que les écoles provinciales[26]. Ces investissements seraient de 30 % à 50 % moins élevés alors que les écoles des communautés coûtent généralement plus cher en raison de l’éloignement et de l’isolement géographique, des conditions socioéconomiques précaires et des besoins en éducation spécialisée. Ce sous-financement n’est pas sans conséquence sur la qualité des services éducatifs offerts. Les écarts de scolarisation entre les Autochtones et les Canadiens, soulignés depuis longtemps, se seraient même creusés depuis 2001[27].

Les écoles québécoises accueillent également un nombre relativement important d’élèves autochtones vu l’accroissement de la population autochtone en milieu urbain. Ces élèves ne sont pas systématiquement reconnus comme autochtones[28], mais on peut estimer que plus d’un tiers des enfants autochtones au Québec fréquenteraient ces écoles, surtout dans les régions[29].

Langue de scolarisation et langues autochtones

Au Québec, la langue d’enseignement dans les écoles publiques est le français et, à certaines conditions, l’anglais[30]. L’article 97 de la Charte de la langue française stipule que les réserves ou les communautés autochtones n’ont pas à s’y soumettre. Les élèves autochtones peuvent ainsi accéder à une scolarisation en langue autochtone et « recevoir graduellement un enseignement en français ou en anglais pour poursuivre leurs études de niveau postsecondaire[31] ». On retrouve cette transition de la langue autochtone à la langue de scolarisation dans les écoles des communautés dont les enfants ont une langue autochtone comme langue première[32]. L’enseignement des langues autochtones est administré par les communautés ; la province n’intervient pas en la matière[33]. Les élèves autochtones fréquentant les écoles provinciales n’ont pas accès à un enseignement dans leur langue ancestrale, à moins qu’ils demeurent ou aient demeuré sur une réserve ou sur un territoire conventionné lors de la dernière année scolaire et qu’ils y aient reçu un enseignement[34].

Au début des années 1970, le processus d’amérindianisation de l’éducation amorcé à la suite de la déclaration de principe de la Fraternité des Indiens représentait une façon de contrer les effets de l’immersion linguistique en langue majoritaire durant les premières années de la scolarisation dans les communautés où la langue autochtone était encore transmise[35]. Rappelons cependant que ces programmes de type transitoire que l’on retrouve dans la majorité des écoles autochtones au Canada sont conçus pour faciliter l’intégration progressive d’élèves de minorités linguistiques au système d’éducation de la société majoritaire et ne visent donc pas à préserver les langues autochtones d’après certains chercheurs[36].

Dans la littérature scientifique, on distingue deux types d’éducation bilingue[37]. La forme transitoire ou « faible » vise l’apprentissage de la langue du pouvoir au détriment de la langue d’origine de l’élève, dans le but d’assimiler l’enfant à la société majoritaire. On critique ce type de programme parce qu’il perpétue le statu quo en séparant la langue minoritaire de l’élève des normes scolaires et reproduit ainsi les écarts en termes de pouvoir et de progression des enfants n’appartenant pas au groupe dominant. Ces conditions d’enseignement et d’apprentissage des langues autochtones s’inscrivent dans une logique de discrimination systémique, puisqu’elles impliquent des pratiques implicites et insidieuses qui privilégient les normes de la culture majoritaire par un traitement différent et désavantageux des membres d’un groupe minoritaire[38]. Inversement, la forme d’éducation bilingue réciproque ou « forte » encourage le développement d’un bilinguisme équilibré, en octroyant un enseignement dans les deux langues à parts égales pendant plusieurs années.

Paradoxalement, l’apprentissage d’une langue tierce comme l’espagnol est plus accessible dans le système scolaire québécois à partir du deuxième cycle du secondaire[39] que celui d’une langue autochtone. Le ministère de l’Éducation, dans sa Politique d’intégration scolaire et d’éducation interculturelle (1998), envisageait la possibilité de reconnaître les acquis en langue autochtone des élèves autochtones au second cycle du secondaire. Toujours est-il que cette politique, qui vise à « favoriser l’intégration scolaire des élèves immigrants et immigrantes et préparer l’ensemble des élèves à participer à la construction d’un Québec démocratique, francophone et pluraliste[40] », est fondée sur le discours institutionnel monolingue de l’école québécoise, associé au concept d’État-nation.

En dépit du fait que le Canada ait donné, en 2010, son appui à la Déclaration de l’ONU sur les peuples autochtones (2007), le droit des enfants autochtones de recevoir un enseignement dans leur langue n’est pas encore acquis[41]. Cet état de fait se répercute dans les pratiques pédagogiques de la grande majorité des enseignantes et enseignants allochtones qui œuvrent auprès des autochtones parce que leur formation initiale ne les prépare pas à comprendre le contexte culturel et sociolinguistique dans lequel ils exercent leur profession. Une étude récente montre que les écarts entre les Autochtones et les Canadiens persistent : le taux de diplomation aux études secondaires est de 42 % en ce qui concerne les écoles des communautés, comparativement à 70 % chez les Autochtones hors réserve et à 90 % chez les Canadiens. Des changements en faveur d’une éducation qui tiennent davantage compte de la langue et de la culture des élèves s’imposent[42].

Enjeux, défis et pistes de réflexion pour l’avenir

Comme mentionné précédemment, certains facteurs d’ordre historique et politique influent sur la scolarisation des Autochtones[43]. D’autres dimensions systémiques, culturelles et linguistiques vont également façonner les enjeux actuels. À partir de notre analyse, sans prétendre à l’exhaustivité, nous avons regroupé certains enjeux et défis en éducation en deux grandes catégories : la formation des enseignants et la relève en enseignement des langues autochtones.

La formation des enseignantes et des enseignants

Plusieurs enseignantes et enseignants allochtones ne connaissent pas le monde autochtone, et nous considérons que la formation des maîtres devrait jouer un rôle plus important à cet égard, entre autres en ce qui concerne l’enseignement des langues en contexte autochtone. Une étude de cas[44] qui visait à documenter les besoins des enseignants en matière de développement professionnel en enseignement de la littératie fait ressortir que la prédominance de la langue de scolarisation et l’omniprésence de matériel didactique standardisé dans les écoles autochtones induisent l’idée chez les enseignants qu’une compétence en littératie s’acquiert à partir des attentes ministérielles et que les pratiques normées sont légitimes. Ces standards établis contribuent à introduire certains biais difficiles à repérer pour toute éducatrice et tout éducateur appartenant au groupe dominant.

L’expérience scolaire des élèves autochtones subit l’influence de certains facteurs linguistiques généralement passés sous silence par les institutions d’enseignement[45]. Cette méconnaissance du contexte sociolinguistique des peuples autochtones amène de fausses perceptions chez certains enseignants et enseignantes. En effet, l’imposition de la langue de scolarisation aux enfants autochtones qui font partie d’une communauté employant une variété de français ou d’anglais différente de celle de la société dominante rend souvent leur parcours scolaire plus difficile comparativement à celui des élèves d’une culture majoritaire ayant la langue d’enseignement comme langue première. Souvent méconnue par l’école, cette variété linguistique, que Daviault[46] nomme le français des Premières Nations[47], risque d’être perçue et considérée comme une déviance par rapport à la norme[48], ce qui a des répercussions négatives sur les élèves qui utilisent ces dialectes autochtones des langues coloniales[49]. Sterzuk insiste sur l’importance de mener les discussions relatives aux variations des langues coloniales en rapportant ces dernières aux contextes sociaux et historiques au sein desquels elles se produisent[50].

Une première étape vers la décolonisation de l’éducation consisterait à amener les enseignantes et enseignants allochtones à entamer une réflexion critique sur le système d’éducation, par la mise au jour des standards cachés du colonialisme et de l’impérialisme des savoirs[51] dans le curriculum moderne. L’enseignement de la littératie en contexte autochtone n’est pas un processus neutre et exige de prendre ses distances par rapport aux savoirs enseignés et à leur provenance, aux personnes qui décident des savoirs à enseigner, aux résultats récompensés, et aux personnes qui en bénéficient. Cette réflexion doit nous amener à comprendre comment l’éducation des Autochtones est organisée depuis des décennies.

Sachant que les enfants autochtones utilisent des variétés non standards du français ou de l’anglais et ne maîtrisent pas forcément la langue de l’école, la formation des enseignants devrait les aider à reconnaître les particularités linguistiques des élèves et les rendre capables de répondre aux besoins de ces derniers.

Le défi consistera à apporter des changements aux programmes de formation des enseignants pour y intégrer des compétences que les Autochtones jugent nécessaires. En novembre 2020, le Conseil en éducation des Premières Nations, de concert avec ses partenaires et alliés, a proposé l’ajout d’une quinzième compétence au référentiel des compétences professionnelles des enseignants : « valoriser et promouvoir les savoirs, la vision du monde, la culture et l’histoire des Autochtones[52] ». Ainsi, serait-il envisageable que certaines universités québécoises rendent obligatoire un cours sur les questions autochtones dans la formation des maîtres comme condition à l’obtention d’un diplôme[53] ?

La relève en enseignement des langues autochtones

L’enseignement des langues autochtones au Québec constitue un autre enjeu d’importance. Sous la responsabilité des Premières Nations et des Inuit, il amène son lot de préoccupations et de défis. Dans le cas des communautés où la langue est en déclin avancé, les enseignants en langue autochtone sont peu nombreux et certains d’entre eux sont à la retraite. Ce manque de ressources humaines est accentué par la difficulté d’accès à des programmes de formation adéquats pour l’enseignement des langues autochtones comme langue seconde. De plus, les langues autochtones étant de tradition orale, le corpus écrit est très limité[54]. Dans le cas de certaines nations, l’orthographe non standardisée complexifie l’enseignement et l’apprentissage de la langue. Enfin, l’absence de ressources pour déployer des stratégies évaluatives qui tiennent compte des langues autochtones des élèves constitue un autre facteur pouvant avoir une incidence sur les conditions d’apprentissage des élèves[55].

Certaines communautés ont besoin de se donner une vision à long terme en matière d’enseignement des langues autochtones et de formation de la relève. Les enseignantes et les enseignants, comme tout professionnel en exercice, ont besoin de soutien pour poursuivre le développement de leur compétence dans leur langue ancestrale. Dans certaines écoles, le défi consiste à créer des occasions de formation des enseignants, dans la pratique, en continu, dans le contexte culturel, sur le territoire, en présence des Aînés. La Loi concernant les langues autochtones adoptée par le gouvernement Trudeau le 21 juin 2019, qui « vise à soutenir la réappropriation, la revitalisation, le maintien et le renforcement des langues autochtones au Canada[56] », pourrait-elle apporter un nouveau souffle à l’enseignement des langues autochtones ? Rappelons que cette loi ne confère pas un statut officiel aux langues autochtones, mais fournit plutôt un cadre administratif aux communautés engagées dans ce processus. Malgré cela, on peut se réjouir du fait que cette loi énonce les fondements juridiques qui permettraient la reconnaissance des langues autochtones. À court terme, elle répond aux appels à l’action de la Commission de vérité et de réconciliation et contribue à la mise en œuvre de la Déclaration des droits des peuples autochtones concernant l’éducation et l’enseignement des langues autochtones.

Conclusion

Cet article visait à aborder succinctement l’historique de la mise en place d’un système scolaire autochtone au Québec, ce qui nous a entre autres permis d’examiner la place des langues autochtones au sein de l’école. Nous avons examiné certains enjeux majeurs qui, presque 50 ans après la publication de La maîtrise indienne de l’éducation indienne, demeurent toujours aussi cruciaux[57]. La proposition d’ajout d’une compétence professionnelle en enseignement par certaines instances éducatives autochtones au Québec constitue une invitation à emboîter le pas pour rattraper le retard québécois en matière d’approches de sécurisation culturelle et de formation des enseignants. Cet appel à l’action mise sur l’importance du rôle des enseignantes et enseignants, de leur mission d’éduquer les futurs citoyennes et citoyens québécois aux réalités autochtones et de faire avancer la société vers une réconciliation.

Un travail considérable reste à accomplir, comme le soulève la Commission de vérité et de réconciliation. Des efforts doivent être consentis pour éliminer les écarts en éducation entre Autochtones et non-Autochtones, et assurer le financement adéquat des écoles dans les communautés. Ces efforts impliquent également la remise en question de certaines structures profondément coloniales pour laisser place à un programme éducatif qui contribue au renforcement de l’identité et des langues autochtones. « La décolonisation ne peut passer par les structures mises en place par le pouvoir colonial[58] »; elle doit se réaliser par celles et ceux qui ont subi la colonisation et par l’instauration de structures qui respectent leur vision du monde et leurs aspirations.

 

 

[1] Originaire de Senneterre, en Abitibi, Nancy Wiscutie-Crépeau est née d’une mère d’origine anicinape/crie et d’un père québécois.

[2] Marie-Pierre Bousquet, « L’histoire scolaire des autochtones du Québec : un chantier à défricher », Recherches amérindiennes au Québec, vol. 46, no 2-3, 2016, p. 117-123.

[3] Le vocable anicinape réfère aux Algonquins et le k marque le pluriel.

[4] Sébastien Grammond et Christiane Guay, « Les enjeux de la recherche concernant l’enfance et la famille autochtones », Enfance, Familles, Générations, vol. 25, 2016.

[5] Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, Un passé, un avenir, 1996, <http://data2.archives.ca/e/e448/e011188231-01.pdf>.

[6] Marie-Pierre Bousquet, « Le projet des pensionnats autochtones du Québec. “Passer en moins d’une génération du canot d’écorce à la fusée interplanétaire” », Revue de la Société des professeurs d’histoire du Québec, vol. 55, no 3, 2017, p. 21-30.

[7]  Pierre Lepage, Mythes et réalités sur les peuples autochtones, Institut Tshakapesh et Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2019, <http://www.cdpdj.qc.ca/Publications/Mythes-Realites.pdf >.

[8] Henri Goulet, Histoire des pensionnats indiens catholiques au Québec : le rôle déterminant des pères oblats, Montréal, PUM, 2016.

[9] Le terme « Indien » est utilisé au sens de la Loi fédérale sur les Indiens.

[10] Une réserve est une terre de compétence fédérale réservée à l’usage exclusif des Indiens.

[11] Aujourd’hui Chisasibi, près de la baie James.

[12] Aujourd’hui Mashteuiatsh, près de Roberval.

[13] Le terme « Inuit » est invariable en genre et en nombre en français; l’adjectif est invariable, le pluriel étant exprimé par le suffixe –it et l’inuktitut n’a ni masculin ni féminin.

[14] Bousquet, 2017, op. cit.

[15] Commission de vérité et de réconciliation du Canada, Les survivants s’expriment, 2015, <http://www.trc.ca/assets/pdf/French_Survivors_Speak_Web.pdf>.

[16] Jacinthe Dion, Jennifer Hains, Amélie Ross et Delphine Vézina-Collin, « Pensionnats autochtones : impact intergénérationnel », Enfance, Familles, Générations, vol. 25, 2016.

[17] Jessica Ball, « Supporting young indigenous children’s language development in Canada : a review of research on needs and promising practices », Canadian Modern Language Review, vol. 66, no 1, 2009, p. 19-47.

[18] Bousquet, 2017, op. cit.

[19]  Carole Lévesque, « L’éducation scolaire chez les Premières Nations et les Inuit du Québec : refaire nos devoirs, construire la réconciliation », communication présentée à la Conférence de consensus. La mixité sociale et scolaire, Montréal, 9-10 octobre 2018, p. 23-29, < http://conference.ctreq.qc.ca/wp-content/uploads/2018/05/Textes-chercheurs_mixite-ethnoculturelle.-pdf-fusionne.pdf>.

[20] Ces écoles sont administrées par un Conseil de bande, responsable de gérer les services éducatifs du primaire (et, le cas échéant, du secondaire) de son territoire.

[21] Assemblée nationale du Québec, La réussite scolaire des Autochtones, 2007, <https://www.uqat.ca/telechargements/info_entites/Reussite_scol_autoch.pdf>.

[22] Fraternité des Indiens du Canada, La maîtrise indienne de l’éducation indienne, Ottawa, 1972,

<https://www.afn.ca/uploads/files/fn_education/icoie-fr.pdf>.

[23] Émilie Deschênes, « L’organisation de l’éducation des Autochtones au Québec », dans André Lemieux (dir.), L’organisation de l’éducation au Québec, Montréal, Les Éditions JFD, 2017.

[24] Ces communautés membres appartiennent à huit nations : W8ban-Aki, Anicinape, Atikamekw Nehirowisiw, Wendat, Mi’kma, Kanien’keha:ka, Wolastogiyik et Innue (de Mashteuiatsh). CEPN, Rapport annuel 2018-2019, 2019, <https://cepn-fnec.ca/wp-content/uploads/2021/01/rapport-annuel-2018-2019.pdf>.

[25] Un établissement est une communauté qui n’a pas le statut de réserve au sens de la Loi sur les Indiens.

[26] Lepage, 2019, op. cit.

[27] Bureau du vérificateur général du Canada, Rapport du vérificateur général du Canada au Parlement du Canada, 2018 <https://www.oag-bvg.gc.ca/internet/Francais/parl_oag_201805_05_f_43037.html>.

[28] Jane Friesen et Brian Krauth, Enjeux politiques clés de l’éducation des Autochtones : une approche fondée sur les faits, Toronto, Conseil des ministres de l’Éducation (Canada), 2012.

[29] Lévesque, 2019, op. cit.

[30] Voir le site du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, <http://www.education.gouv.qc.ca/parents-et-tuteurs/admissibilite-a-lenseignement-en-anglais/admissibilite/>.

[31] Naiomi Metallic, « Les droits linguistiques des peuples autochtones », dans Michel Bastarache et Michel Doucet (dir.), Les droits linguistiques au Canada, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, p. 980.

[32] Pour les élèves dont les parents ont choisi que leur enfant soit scolarisé dans sa langue maternelle durant les premières années.

[33] Caroline Baillairgé, Les droits linguistiques des peuples autochtones au Québec et en Ontario, thèse de maîtrise, Ottawa, Université d’Ottawa, 2012.

[34] Deschênes, 2020, op. cit.

[35] Carole Lévesque, Geneviève Polèse, Dominique de Juriew, Rolando Labrana, Anne-Marie Turcotte et Stéphanie Chiasson, Une synthèse des connaissances sur la réussite et la persévérance scolaire des élèves autochtones au Québec et dans les autres provinces canadiennes, Cahiers DIALOG, n° 2015-0, INRS, Centre Urbanisation Culture Société, Montréal, 2015.

[36] Roxanne de la Sablonnière, Esther Usborne et Donald Taylor, « Revivifier les langues autochtones meurtries : éliminer la discrimination systémique par l’enseignement », dans Lynn Drapeau (dir.), Les langues autochtones du Québec : un patrimoine en danger, Québec, PUQ, 2011, p. 67-83.

[37] Collin Baker, Foundations of Bilingual Education and Bilingualism, Toronto, Multilingual Matters, 2011.

[38] De la Sablonnière, Usborne et Taylor, 2011, op. cit.

[39] Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur,  Programme de formation à l’école québécoise : espagnol, langue tierce, s.d., <http://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/education/jeunes/pfeq/PFEQ_espagnol-langue-tierce.pdf>

[40] Ministère de l’Éducation, Une école d’avenir : politique d’intégration scolaire et d’éducation interculturelle, Québec, 1998, p. iv.

[41] Baillairgé, 2012, op. cit.

[42] Barry Anderson et John Richards, Students in Jeopardy : An Agenda for Improving Results in Band-Operated Schools, rapport de recherche n° 444, Toronto, Institut C.D. Howe, 2016.

[43] Hélène Archambault, « Les principaux enjeux qui influencent la scolarisation des élèves autochtones au Québec », The Canadian Journal of Native Studies, vol. 34, n2, 2014, p. 19-40.

[44] Rachel Heydon et Rosamund Stooke, « Border work : teachers’ expressions of their literacy-related professional development needs in a First Nations school », Teaching and Teacher Education, vol. 28, 2012, p. 11-20.

[45] Diane Daviault, « Les caractéristiques linguistiques des enfants des Premières Nations : quelles implications pour la formation des enseignants autochtones ? », dans Gisèle Maheux et Roberto Gauthier (dir.), La formation des enseignants inuit et des Premières Nations, Québec, PUQ, 2013, p. 79-104.

[46] Ibid.

[47] La littérature scientifique décrit ce phénomène pour la langue anglaise utilisée par des locuteurs d’origine autochtone dans différents pays, sous les vocables suivants : American Indian English (États-Unis), Aboriginal English (Australie), Indigenous English ou Indigenous Englishes (Canada), compte tenu de la diversité des langues autochtones.

[48] Andrea Sterzuk, « Whose English counts ? Indigenous english in Saskatchewan schools », McGill Journal of Education, vol. 43, no 1, 2008, p. 9-19.

[49] Sharla Peltier, « An anishinaabe perspective on children’s language learning to inform “seeing the aboriginal child” », Language and Literacy, vol. 19, n2, 2017, p. 4-19.

[50] Andrea Sterzuk, The Struggle for Legitimacy. Indigenized Englishes in Settler Schools, Toronto, Multilingual Matters, 2011.

[51] Marie Battiste, Decolonizing Education. Nourishing the Learning Spirit, Vancouver, Purich Publishing Limited, 2013.

[52] Conseil en éducation des Premières Nations, Compétence 15 – Valoriser et promouvoir les savoir, la vision du monde, la culture et l’histoire des Autochtones, 2020, <https://cepn-fnec.ca/competence-15/>.

[53] Isaac Gauthier, « Un cours d’études autochtones obligatoire à l’Université Lakehead », Radio-Canada, 7 décembre 2015.

[54] Anne-Marie Baraby, « L’écrit dans une langue de tradition orale : le cas de l’innu », dans Lynn Drapeau, op. cit., 2011, p. 45-66.

[55] Corina Borri-Anadon, Sylvie Ouellet et Nadia Rousseau, L’évaluation des besoins des élèves autochtones par les acteurs scolaires : favoriser la mise en oeuvre de pratiques prometteuses fondées sur des prises de décisions éclairées, rapport final de synthèse des connaissances (CRSH – 2016-2017), Trois-Rivières, Université du Québec à Trois-Rivières, 2017.

[56] Pour plus de détails sur cette loi, voir le site Internet de François Larocque, professeur à l’Université d’Ottawa : <https://juriblogue.ca/la-loi-concernant-les-langues-autochtones-lc-2019-c-23-un-premier-pas-legislatif-vers-la-revitalisation-des-langues-autochtones-au-canada/>.

[57] Michelle Pidgeon, Marissa Muñoz, Verna Kirkness et Jo-Ann Archibald, « Indian Control of Indian Education : Reflections and Envisioning the Next 40 Years », Canadian Journal of Native Education, vol. 36, no 1, 2013, p. 5-35.

[58] Véronique Paul, Mylène Jubinville et Francis Lévesque, « Le travail collaboratif afin de dépasser l’approche colonialiste et se diriger vers une autochtonisation de la réussite scolaire », dans Gisèle Maheux, Glorya Pellerin, Secundo Enrique Quintriqueo Milán et Lily Bacon (dir.), La décolonisation de la scolarisation des jeunes Inuit et des Premières Nations, Québec, PUQ, 2020, p. 69-93.

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