Transformer l’État?

«Dans les années 1990, plusieurs mouvements ont résisté aux politiques de privatisation et parfois, ces batailles sont allées dans le sens de la transformation de l’État.»

Hilary Wainwright

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Le nouveau syndicalisme dans le secteur public

 

Des luttes émanent de syndicats du secteur public et de vastes alliances sociales, tant au niveau local que national et international, ont brisé la traditionnelle division du travail social-démocrate entre un syndicalisme centré sur les relations industrielles et des entités politiques. Dans leur refus d’accepter la marchandisation des services publics et en insistant sur la nécessité de défendre le bien public plutôt que le profit, les syndicats ont pris des responsabilités citoyennes dans ce qui était auparavant la sphère de la politique de la représentation. Ainsi ils ont défendu l’importance de l’État comme moyen de redistribuer et de dé-marchandiser. Ils ont ouvert une dynamique pour renouveler et transformer les rapports à l’extérieur de la logique du marché. Parmi les avancées importantes, on observe la capacité de syndicats à coopérer avec des associations d’usagers et des communautés, dans une lutte pour recentrer la vie sur les valeurs d’usage, au lieu de simplement négocier le prix et les conditions du travail salarié. Pour gagner la bataille pour le service public, ces syndicats transforment leur organisation, auparavant un moyen de représentation et de mobilisation, en en moyen de socialiser démocratiquement le savoir que les travailleurs et les usagers ont déjà, bien que sous une forme fragmentée, et d’imaginer comment le service public peut être développé et amélioré. En fait, ils cherchent à dépasser la nature aliénée du travail et font de leurs luttes un moyen de réaliser le potentiel d’une sphère publique dé-marchandisée.

 

Quelle organisation politique ?

 

De facto, le concept du « politique » s’est élargi et est devenu une réalité plus ample centrée sur la transformation des rapports de pouvoir dans la société. Ces initiatives, en cours et passées, sont devenues plus politiques en s’adressant à des sites spécifiques de rapports sociaux, tout en développant une vision plus large et des valeurs. Elles ont créé des alternatives dans le temps présent, non seulement indiquant l’avenir pour lequel les gens se battent, mais ouvrant de nouvelles dynamiques de changement. Certes, cette perspective ressemble à celle évoquée par André Gorz dans les années 1960. Mais dans le contexte actuel, les dimensions organisationnelles ne sont plus les mêmes. Dans le sillon des défaites des organisations de gauche, devant l’impact dévastateur des politiques néolibérales et des changements radicaux dans la technologie et l’organisation de la production, nous faisons face à des formes extrêmes de fragmentation et de dispersion. Dans la résistance contre la privatisation, les luttes illustrent les contours d’un futur alternatif, défendant ou récupérant le bien public contre les tentatives de le privatiser, mais aussi en le rendant réellement public dans son fonctionnement, et pas seulement dans sa propriété. Ces luttes ne peuvent pas dépendre uniquement des organisations syndicales traditionnelles. Il faut innover et créer des liens avec les communautés où le syndicat devient un acteur parmi plusieurs et où les partis de gauche ont une présence plutôt modeste. Tout cela implique la transformation du syndicalisme comme moyen de négocier en un outil pour recueillir le savoir ouvrier et propulser l’action militante de manière à transformer les services selon les besoins des usagers.

 

Nouvelles formes de communication et de diffusion du savoir

 

Cette hybridation de nouvelles et d’anciennes formes organisationnelles, développées et combinées dans un but commun, est un processus qu’on observe un peu partout. Une cartographie de cette transition des formes organisationnelles fait ressortir certains traits communs. Il y a d’abord l’importance des moyens de communication. L’organisation est toujours une question de communication, de même qu’un processus de prise de décision et de discipline. Les nouvelles technologies de communication facilitent la coordination en réseau sur des objectifs communs et des valeurs partagées, tout en reconnaissant la pluralité des tactiques et des formes organisationnelles, ce qui rend caduque la nécessité d’un centre unique. Ces approches en réseau existaient auparavant, mais la technologie a élargi les possibilités, tout en créant de nouveaux problèmes.

 

Il y a ensuite des caractéristiques qui concernent le savoir. La diffusion de formes d’organisation à la fois dispersées et collaboratives créent des conditions favorables pour réaliser ce qu’ont imaginé dans les années 1970 le féminisme, le syndicalisme radicale et les réseaux d’éducation populaire et communautaires dans plusieurs régions du Sud. Plusieurs mouvements ont intégré dans leurs pratiques le savoir créatif des gens dits « ordinaires », contre la « gestion scientifique » de l’usine fordiste et le savoir centralisé et professionnel de l’État social-démocrate. Leur compréhension de l’importance du savoir expérientiel et théorique, tacite et codifié, s’est reproduite dans l’idée de la démocratie participative. Cela altère les programmes politiques, menant à des processus participatifs plus amples que ce qui se passait auparavant. De plusieurs façons, les fonctions associées aux partis politiques sont maintenant accouplées à plusieurs acteurs autonomes partageant des valeurs communes. Cette complexité a des effets importants. Par exemple, la sorte d’unité requise pour une campagne électorale n’est pas la même que celle qui est nécessaire pour construire un réseau de centres sociaux ou des alliances communautaires et syndicales. La question de la forme organisationnelle doit être structurée de manière à être adéquate à l’objectif de l’activité.

 

Nouvelles explorations

 

Il n’est plus nécessaire de faire partie d’un cadre politique unique. Il y a plusieurs moyens de partager et de communiquer des valeurs communes. Il reste cependant de nombreux problèmes irrésolus, dont celui que nous avons évoqué tout au long de ce texte, à savoir la question de la représentation dans le système politique, de la redistribution des ressources publiques et du redéploiement du pouvoir d’état. Il nous faut alors revenir à une approche critique considérant que les citoyenNEs ne sont pas des individus atomisés au sein d’une égalité politique formelle et abstraite, mais des citoyenNEs encastréES dans des rapports sociaux concrets et présents inégaux, en tant que travailleurs et travailleuses, femmes, minorités ethniques, personnes handicapées, etc. La démocratie parlementaire existante tend à occulter ces inégalités de richesse et de pouvoir. Elle devient davantage problématique au fur et à mesure que des décisions importantes sont abandonnées à des structures opaques et technocratiques, ce qui dépolitise le processus de prise de décisions sur l’avenir de la société. Cette tendance est associée à la mondialisation néolibérale, mais elle s’inscrit aussi en continuité avec la démocratie libérale, selon laquelle l’avenir des pauvres « appartient » aux mains du marché capitaliste.

 

Des formes organisationnelles sont nécessaires pour que les luttes soient présentes dans le système politique. Ces luttes renforcent le mandat électoral des partis de gauche en revendiquant et en élaborant les engagements. Pour les partis, cela est beaucoup plus complexe que d’être simplement la « voix des sans voix ». Pour agir dans le sens de la transformation, le parti doit faire partie d’une constellation d’organisations agissant à l’extérieur des institutions politiques, partageant plus ou moins des valeurs et des objectifs communs. Ensuite, il doit servir à l’intérieur d’un mandat construit par le réseau ou la constellation. Ces mandats doivent être évalués et le rôle des parlementaires doit être soumis à des discussions publiques. De plus, le parti doit appuyer les organisations extra-parlementaires. Il doit fonctionner avec ses leaders et ses militants de manière à partager le pouvoir et la connaissance. Il doit innover dans ses formes organisationnelles pour contrer les pressions qui drainent les parlementaires dans les dédales du parlementarisme d’où émane une sorte de classe politique fonctionnant ses propres bases.

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